Haïkus d’enfance

Le haïku, petit poème traditionnel en trois vers, est une forme idéale pour faire découvrir aux jeunes enfants la saveur de la poésie. C’est ce qu’a parfaitement compris Isabel Asúnsolo qui propose des livres de haïkus pour les plus jeunes lecteurs.

 

La maison d’édition « L’Iroli » (au jeu de mots humoristique) fait paraître des recueils de haïkus pour les tout jeunes enfants. L’originalité de la démarche est de publier les textes en version bilingue française et japonaise, ce qui permet aussi d’expliquer aux enfants l’arbitraire du signe alphabétique. Les textes sont adaptés aux préoccupations des plus petits, à la fois tendres et pleins d’humour. 

l’ombre
de mon nounours
est aussi un nounours

Pour les enfants de deux ou trois ans, on pourra commencer par « Haïku mon nounours » où la peluche d’une fillette voit son quotidien raconté en haïkus par Gilles Brulet et illustré par les charmants dessins de Chiaki Miyamoto.

quelques sauterelles –
sur un bateau d’allumettes
vogue la rainette

Après Haïku mon nounours, les mêmes auteurs ont composé les « Haïkus d’enfant et de rainette », l’histoire d’une fillette aux cheveux bleus et d’une mignonne grenouille qui partagent leur amitié sur les bords d’une mare. Des haïkus réguliers (5, 7 et 5 syllabes) illustrés par de très beaux dessins crayonnés.

 

A découvrir !

 

 

 

 

 

Le mystère du Jabberwocky

Dans le conte « De l’autre côté du miroir » de Lewis Carroll, Alice découvre un poème resté célèbre depuis lors, un poème mystérieux imprimé à l’envers, le Jabberwocky.

 

YKCOWREBBAJ

sevot yhtils eht dna ,gillirb sawT‘

ebaw eht ni elbmig dna eryg diD

,sevogorob eht erew ysmim llA

.ebargtuo shtar emom eht dnA

 

Alice comprend tout de suite qu’il s’agit d’un livre à lire en face d’un miroir ! Et c’est ainsi que lui est révélé le texte énigmatique et monstrueux.

 

Twas brillig, and the slithy toves
Did gyre and gimble in the wabe;
All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.

“Beware the Jabberwock, my son!
The jaws that bite, the claws that catch!
Beware the Jubjub bird, and shun
The frumious Bandersnatch!”

He took his vorpal sword in hand:
Long time the manxome foe he sought—
So rested he by the Tumtum tree,
And stood awhile in thought.
And as in uffish thought he stood,
The Jabberwock, with eyes of flame,
Came whiffling through the tulgey wood,
And burbled as it came!

One, two! One, two! and through and through
The vorpal blade went snicker-snack!
He left it dead, and with its head
He went galumphing back.

“And hast thou slain the Jabberwock?
Come to my arms, my beamish boy!
O frabjous day! Callooh! Callay!”
He chortled in his joy.
Ce poème est un véritable défi pour les traducteurs et traductrices du monde entier car nombre de mots du poèmes sont des mots inventés ou plutôt déformés, comme nos visages le seraient dans des miroirs de foire.
 
Dans une conférence du 10 juin 1986 intitulée « Quand se figure la langue », Jacques Hassoun a très bien expliqué pourquoi : « Dans le cas du langage ordinaire, il est plus facile de traduire un texte, car à chaque mot ou expression de la langue de départ peut généralement correspondre un mot ou une expression de la langue d’arrivée. Dans un poème de ce type, par contre, beaucoup de “mots” ne véhiculent pas un sens ordinaire, mais sont là uniquement pour servir d’étincelles et allumer des symboles voisins. Mais ce qui est voisin dans une langue peut être lointain dans une autre. Ainsi, dans le cerveau d’un anglophone, le mot chortled (avant-dernière strophe) aura tendance à activer les symboles chuckled et snorted. Le verbe glouffait excite-t-il les symboles correspondants dans le cerveau d’un francophone ?  »
 
La traduction de ce poème est pour cette raison un exercice particulièrement prisé des traducteurs ou de professeurs qui le proposent à leurs étudiants.
 
Illustration du Jabberwock par John Tenniel.
 
 

 

 

 

 

 

Sur la poésie

Sur la poésie par Joseph Joubert (1754-1824)

Le talent poétique naît dans les
âmes vives de l’impuissance
de raisonner.

Les poètes sont enfants avec
beaucoup de grandeur d’âme et
avec une céleste intelligence.

Les beaux vers sont ceux qui
s’exhalent comme des sons
ou des parfums.

On ne peut trouver de poésie
nulle part quand on n’en
porte pas en soi.

 

Image :
    … et un grand oiseau qui descend du ciel vient s’abattre sur le sommet de sa chevelure : [estampe] / Odilon Redon / Gallica

L’enfant et le miroir

Un enfant élevé dans un pauvre village
Revint chez ses parents, et fut surpris d’y voir
Un miroir.
D’abord il aima son image ;
Et puis, par un travers bien digne d’un enfant,
Et même d’un être plus grand,
Il veut outrager ce qu’il aime,
Lui fait une grimace, et le miroir la rend.
Alors son dépit est extrême ;
Il lui montre un poing menaçant,
Il se voit menacé de même.
Notre marmot fâché s’en vient, en frémissant,
Battre cette image insolente ;
Il se fait mal aux mains. Sa colère en augmente ;
Et, furieux, au désespoir,
Le voilà devant ce miroir,
Criant, pleurant, frappant la glace.
Sa mère, qui survient, le console, l’embrasse,
Tarit ses pleurs, et doucement lui dit :
N’as-tu pas commencé par faire la grimace
A ce méchant enfant qui cause ton dépit ?
– Oui. – Regarde à présent : tu souris, il sourit ;
Tu tends vers lui les bras, il te les tend de même ;
Tu n’es plus en colère, il ne se fâche plus :
De la société tu vois ici l’emblème ;
Le bien, le mal, nous sont rendus.

Jean-Pierre Claris de Florian

 

Gallica

Images : Fables de Florian illustrées par Benjamin Rabier / Gallica

Lapins

Les petits Lapins, dans le bois,
Folâtrent sur l’herbe arrosée
Et, comme nous le vin d’Arbois,
Ils boivent la douce rosée.

Gris foncé, gris clair, soupe au lait,
Ces vagabonds, dont se dégage
Comme une odeur de serpolet,
Tiennent à peu près ce langage:

Nous sommes les petits Lapins,
Gens étrangers à l’écriture
Et chaussés des seuls escarpins
Que nous a donnés la Nature.

Près du chêne pyramidal
Nous menons les épithalames,
Et nous ne suivons pas Stendhal
Sur le terrain des vieilles dames.

N’ayant pas lu Dostoïewski,
Nous conservons des airs peu rogues
Et certes, ce n’est pas nous qui
Nous piquons d’être psychologues.

Exempts de fiel, mais non d’humour
Et fuyant les ennuis moroses,
Tout le temps nous faisons l’amour,
Comme un rosier fleurit ses roses.

Nous sommes les petits Lapins,
C’est le poil qui forme nos bottes,
Et, n’ayant pas de calepins,
Nous ne prenons jamais de notes.

Nous ne cultivons guère Kant;
Son idéale turlutaine
Rarement nous attire. Quant
Au fabuliste La Fontaine,

Il faut qu’on l’adore à genoux;
Mais nous préférons qu’on se taise,
Lorsque méchamment on veut nous
Raconter une pièce à thèse.

Étant des guerriers du vieux jeu,
Prêts à combattre pour Hélène,
Chez nous on fredonne assez peu
Les airs venus de Mitylène.

Préférant les simples chansons
Qui ravissent les violettes,
Sans plus d’affaire, nous laissons
Les raffinements aux belettes.

Ce ne sont pas les gazons verts
Ni les fleurs, dont jamais nous rîmes
Et, qui pis est, au bout des vers
Nous ne dédaignons pas les rimes.

En dépit de Schopenhauer,
Ce cruel malade qui tousse,
Vivre et savourer le doux air
Nous semble une chose fort douce,

Et dans la bonne odeur des pins
Qu’on voit ombrageant ces clairières,
Nous sommes les tendres Lapins
Assis sur leurs petits derrières.

Théodore de Banville

Image : Lapin et carottes  / Jean Emile Laboureur / Gallica

Le canari m’a dit…

Une anthologie rassemblant contes et poèmes de toute l’Afrique

Amadou Hampâté Bâ, Tahar Ben Jelloun, Fatou Sow Ndiaye, Nimrod, Jacqueline Daoud, Nadine Fidji, Marie-Léonine Tsibinda sont quelques un.e.s des poètes et poétesses que l’on trouve rassemblés dans ce joli recueil de contes et poèmes d’Afrique édités par le Temps des Cerises, au sein d’une nouvelle collection « Contes et poèmes du monde entier ».

L’anthologie, superbement illustrée par Sandra Poirot Cherif est structurée en seize grands chapitres thématiques : Terre, Fleuve, Maison, Feu, Rue, Forêt, Ciel., Brousse.. Chaque chapitre est ouvert par un conte traditionnel sur le thème, suivi d’un choix de poèmes. L’anthologie a été établie par Réjane Niogret et Christian Poslianec.

Mon conte s’en va. Les poèmes sont là.

« La forêt bouge, la forêt palpite
La forêt se dresse, la forêt dense
Danse au vent.
La forêt des Pygmées, la forêt des mythes. »
Philippe Makita (République du Congo)

La mise en page et la structuration thématique parviennent à éviter l’écueil d’un certain caractère systématique que l’on peut trouver à nombre d’anthologies. C’est un véritable tour de l’Afrique et de sa poésie qui nous sont proposés, avec de belles découvertes au côté d’auteurs contemporains déjà reconnus. Une place importante est donnée aux voix féminines. 

« Je m’appelle Mariama, Marie, Myriem, Marème, Mouskeba,
Maamou à votre aise !
Le O de mon nom Ndoye ouvre son gros orteil sur le monde »
Mariama Ndoye (Sénégal)

Le parti est pris d’offrir une poésie de grande qualité « pour petits et grands ». L’on peut mettre ce livre dans les mains d’enfants à partir de huit ans, mais il saura également combler les adultes férus de poésie. Un credo que nous partageons au sein de la revue Chamboule-Tout. 

« Papa, tu me diras
Pourquoi des enfants ici sont sans-logis et moi dans un palais »
Augustin-Sondé Coulibaly – Burkina Faso

Plus d’informations sur le site de l’éditeur

 

 

Odelette

Un petit roseau m’a suffi
Pour faire frémir l’herbe haute
Et tout le pré
Et les doux saules
Et le ruisseau qui chante aussi ;
Un petit roseau m’a suffi
À faire chanter la forêt.
Ceux qui passent l’ont entendu
Au fond du soir, en leurs pensées,
Dans le silence et dans le vent,
Clair ou perdu,
Proche ou lointain…
Ceux qui passent en leurs pensées
En écoutant, au fond d’eux-mêmes,
L’entendront encore et l’entendent
Toujours qui chante.
Il m’a suffi
De ce petit roseau cueilli
À la fontaine où vint l’Amour
Mirer, un jour,
Sa face grave
Et qui pleurait,
Pour faire pleurer ceux qui passent
Et trembler l’herbe et frémir l’eau ;
Et j’ai, du souffle d’un roseau,
Fait chanter toute la forêt.

Henri de Régnier

Image : Les roseaux et le vent, estampe de Jacques Callot, Gallica

La neige tombe

Toute blanche dans la nuit brune
La neige tombe en voletant,
Ô pâquerettes ! Une à une
Toutes blanches dans la nuit brune !
Qui donc là-haut plume la lune ?
Ô frais duvet ! Flocons flottants !
Toute blanche dans la nuit brune
La neige tombe en voletant.

La neige tombe, monotone,
Monotonement, par les cieux ;
Dans le silence qui chantonne,
La neige tombe monotone,
Elle file, tisse, ourle et festonne
Un suaire silencieux.
La neige tombe, monotone,
Monotonement par les cieux.

Jean Richepin

Image : Utagawa Hiroshige (歌川広重) [Public domain], via Wikimedia Commons