Les arbres

Dans l’azur de l’avril, dans le gris de l’automne,
Les arbres ont un charme inquiet et mouvant

Le peuplier se ploie et se tord sous le vent
Pareil aux corps de femme où le désir frissonne.
Sa grâce a des langueurs de chair qui s’abandonne,
Son feuillage murmure et frémit en rêvant
Et s’incline, amoureux des roses du
Levant.

Le tremble porte au front une pâle couronne.
Vêtu de clair de lune et de reflets d’argent,
S’effile le bouleau dont l’ivoire changeant
Projette des pâleurs aux ombres incertaines.

Les tilleuls ont l’odeur des âpres cheveux bruns,
Et des acacias aux verdures lointaines
Tombe divinement la neige des parfums.

Renée Vivien

Image : Jaffa. Arbre [et homme debout] : [photographie] / Joseph Philibert Girault de Prangey / Source : Gallica / BNF

Des peintres et des phénix

« Les phares » de Charles Baudelaire

Rubens, fleuve d’oubli, jardin de la paresse,
Oreiller de chair fraîche où l’on ne peut aimer,
Mais où la vie afflue et s’agite sans cesse,
Comme l’air dans le ciel et la mer dans la mer ;

Léonard de Vinci, miroir profond et sombre,
Où des anges charmants, avec un doux souris
Tout chargé de mystère, apparaissent à l’ombre
Des glaciers et des pins qui ferment leur pays,

Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures,
Et d’un grand crucifix décoré seulement,
Où la prière en pleurs s’exhale des ordures,
Et d’un rayon d’hiver traversé brusquement ;

Michel-Ange, lieu vague où l’on voit des Hercules
Se mêler à des Christs, et se lever tout droits
Des fantômes puissants qui dans les crépuscules
Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts ;

Colères de boxeur, impudences de faune,
Toi qui sus ramasser la beauté des goujats,
Grand coeur gonflé d’orgueil, homme débile et jaune,
Puget, mélancolique empereur des forçats,

Watteau, ce carnaval où bien des coeurs illustres,
Comme des papillons, errent en flamboyant,
Décors frais et légers éclairés par des lustres
Qui versent la folie à ce bal tournoyant ;

Goya, cauchemar plein de choses inconnues,
De foetus qu’on fait cuire au milieu des sabbats,
De vieilles au miroir et d’enfants toutes nues,
Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ;

Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges,
Ombragé par un bois de sapins toujours vert,
Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges
Passent, comme un soupir étouffé de Weber ;

Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;
C’est pour les coeurs mortels un divin opium !

C’est un cri répété par mille sentinelles,
Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;
C’est un phare allumé sur mille citadelles,
Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois !

Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité !

Image :

Titre :  La Belle feronnière (sic). année 1539. Auteur :  Léonard de Vinci (1452-1519). Peintre de l’oeuvre reproduite / Source : Gallica BNF


Au centre du cercle

Je t’aime de toutes les manières qui existent et de celles qui n’existent pas
Je t’aime tel un toro se rue, le front offert, sous la lame de lune, genou à terre, serment devant
Je t’aime comme le soleil berce la terre, de mille feux
Je t’aime tels dès l’aurore, les coquelicots révèlent fiers, le jade des prairies humides de Namibie
Je t’aime au centre du cercle, il s’étend infiniment
Je t’aime en un sourire, aussi sensible qu’indescriptible, aux papilles nacrées
Je t’aime comme une kermesse inédite, elle éveille la ville, les pas nocturnes
Je t’aime tel l’aigle pique, insensé, de la falaise vers l’océan déchaîné, le plus téméraire des oiseaux
Je t’aime comme une farandole de chérubins fanfaronnant sur leurs nuages, ceux qui louent suaves, grâce au ciel, la gaieté bariolée
Je t’aime comme une goutte tombe dans la main, picote et dessine un destin
Je t’aime comme un choix si simple, une évidence, l’eau pure, cet instant où l’on découvre, quête d’une vie, l’or alchimique d’un pissenlit
Je t’aime semblable à la mer, celle là même qui caresse, perpétuelle la grève, au chant des sirènes, au la des étoiles
Je t’aime, plus fort, plus grand, plus beau qu’aimer me parait possible

Jean Leznod, auteur parisien, met en mots la magie sur son blog http://www.magiedumot.com/

Image : L’Amour et la mort : détail des Grotesques / artiste anonyme francais du XVIe / Source : Gallica, Bibiothèque Nationale de France