La victoire du rien

À l’opposé du tout, il y a le rien. Ce petit rien du quotidien qui sombre souvent dans l’indifférence. J’ai essayé de lui rendre hommage à travers ces 5 poèmes formant un ensemble.

Olivier Souillard

1.

Juste ce couloir d’immeuble
L’attente qui en découle
Le temps qui se tait
Le rien qui se crée
Le vent absent
Rester là, juste là

2.

Juste cette rampe d’escalier du métro,
Qui accueille des millions de mains.

Des mains tremblantes, chancelantes, ardentes.

L’inclinaison doit être parfaite
Le glissement sans encombre

Et si un inconnu chute quand même,
Rire en silence

3.

Juste ce pot d’échappement qui tousse.
Dans un tourbillon d’hésitation du langage,
Son bruit saccadé me rappelle la difficulté de m’exprimer

4.

Juste une étagère que je croyais étrangèreMais elle a ce pouvoir si étrange
Cette manière de porter mes souvenirs
Les ranger
Les déranger
Les façonner dans la matière

Jusqu’à toucher mes yeux noirs remplis de mémoire

5.

Juste ce mot,

Seul

Heureux dans la brume.

 Olivier Souillard

Illustration : Titre :  La Vieille : Que crains-tu ? un large trou noir ! Il est vide peut-être ? : [estampe] / Odilon Redon sur Gallica

Louise Labé chantée par Gil Aniorte

Louise Labé, aussi surnommée « Louïze Labé Lionnoize » ou « la Belle Cordière » est une poétesse née vers 1524 à Lyon. Voici un de ses célèbres sonnets mis en musique sur France Inter

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Louise Labé, Sonnets

Plumage d’adages

Par Philippe Minot

 

A livre d’enfant, souvenirs méchants.

A vive abeille, rude miel.

Comme la vague, la pensée déferle.

Dieu s’épanche, le Diable exulte, le fou éructe, le sage se contient et le monde se maintient.

La chaise préfère l’assise à l’assis.

La faim ne talonne que les affamés.

La parole dit plus que silence mais moins que regard.

La poésie brandit le sceptre d’un spectre.

La terre grandit celui qui plante et inhume celui qui récolte.

La toilette purifie moins la peau que la conscience.

La victoire reste au Diable.

Le bois croît dans l’espoir du bûcher.

Le chat devine le tigre.

Le ciel est miel, le réel est fiel.

Le destin du lièvre n’est pas toujours le civet.

Le facile est un miroir sans tain, le difficile te renvoie ton reflet.

Le facile te détruit, le possible se construit.

Le fleuve bat ses rives, le simple ses cartes.

Le fruit est plus cultivé que l’acheteur ne le suppute.

Le mot est un silence qui refuse de se taire.

Le récit conduit le rêve, le poème mène la danse.

Le soir se garde bien de réveiller la nuit.

Le silence rôde entre la volubilité des âmes et la sécheresse des lèvres.

Le silence parle entre la clarté des coeurs et l’obscurité des gorges.

Le soldat défile, les heures aussi.

Le soleil vrai n’est pas dans le ciel mais dans la rivière.

Le tombeau se garde bien de pleurer.

L’aile est un renoncement et une élévation, nullement un abandon.

L’effort coûte plus que sable qui s’amoncelle.

L’image balaie les scories de ce que nous sommes.

L’ironie, c’est un proverbe qui se refuse comme un cheval qui hennit.

Nous jouissons moins du jour que nous ne souffrons de la nuit.

Odeur légère, amour éphémère.

Plus, à l’arbre, la cigale casse l’oreille ; plus, sous l’arbre, le berger s’ensommeille.

Plus le soleil s’éteint, plus l’angoisse t’étreint.

Pour le remords, maintenant est déjà demain.

Pour le sorcier, sourciller, c’est déjà prier.

Quand le soleil se couchera, on y verra plus clair.

Si le soleil scintille, la tête, elle, s’incline.

Tant va l’estomac qu’à la faim il rechigne.

Tôt bouclé tôt bâclé.

Tout portrait est plus fidèle au fiel qu’au modèle.

Image d’illustration Le Petit Marseillais illustré, 4 janvier 1890

Secret de poète !

La nuit tombe à présent, et dévore le monde à pleines dents…Dans le placard de ma chambre, où
sont empilés soigneusement les draps et les oreillers, vit un petit dragon nommé Doudou. C’est un
bébé, un dragonneau. Il mesure 1 millimètre à peine. Il ne crache pas encore de feu. Il a des yeux
feux d’artifices qui luisent dans le noir. Il ne ferait pas de mal à une mouche.
Je lui rends visite le soir quand tout le monde ronfle. Je lui apporte des bonbons au citron. Je lui
raconte des histoires pour l’endormir.

Les lits-cornes sont dangereux. Alors je l’emmène dans mon lit-barque…

Nous regardons ensemble les berges de la rivière. Les animaux étranges, les loupsours,
les tigres ailés, les lapins-araignées, les vers luisants… ne peuvent rien contre nous !
Doudou ne cesse de les narguer depuis la barque.

J’ai déjà voulu l’emmener à l’école mais il ne veut pas. Il dit qu’il est mon secret et que je dois le garder dans mon armoire, à l’abri des regards !

Et il me chuchote avec son drôle d’accent :
Etre poète, c’est faire
des rois et des reines,
des donjons où enfermer ton chagrin
des lits pour voyager
au-dessus des villes, des paysages, des forêts
d’une épluchure, un personnage
d’un tapis, un voyage
d’un fil, une rêverie
d’une tomate, du sang
d’une flaque, un océan
de sable, des châteaux,
des roses, des enfants
des planètes, des maisons
où se promener
où frissonner
où se perdre
des labyrinthes sans fin
peuplés de jeux et de rencontres inattendues

Jennifer Lavallé

L’anniversaire du chat

Poème extrait de l’excellentissime Annibestiaire par le poète Philippe Mathy malicieusement illustré par Aline Claus

Quand c’est l’anniversaire d’un chat
Qu’il organise un thé dansant
Il y a beaucoup d’absents !

Car si l’on danse comme à l’opéra
Qui ne voit-on pas ?
Ce sont les petits rats !

Ne parlons pas des souris
Le temps peut être pourri
Elles préfèrent les voyages
Même si on offre du fromage

Quand c’est l’anniversaire d’un chat
Il se fait du mauvais sang
Il y a tant d’absents
Qu’on pourrait dire en arrivant
Il n’y a pas un chat !

Philippe Mathy

 

Et pour découvrir les anniversaires de la grenouille, du hérisson, de l’alouette, de la vache, de la coccinelle, du kangourou…. vous pouvez commander le livre en écrivant à Véronique : veroesprit@gmail.com

Editions « Le front aux vitres » 🙂

 

 

 

 

Bizarre blizzard

Bizarre blizzard

Dis Papa, tu ne trouves pas que le froid est encore plus froid,

le soleil plus haut, le soleil plus chaud ?

Tu ne trouves pas, Papa, que le monde a changé ?

La petite étoile, là-bas, regarde, elle a bougé !

Ne sens-tu pas, Papa, que le vent souffle vers d’autres rivages

et que les nuages ont changé de visages ?

Dis-moi, Papa, ne trouves-tu pas

que le monde aujourd’hui est un peu différent ?

et que la lune hier si douce

n’est plus tout à fait comme avant ?

Il me semblait encore hier, mais hier c’était il y à longtemps

qu’elle nous souriait parfois, de temps en temps…

Regarde, comme elle est loin ! Elle a l’air triste et froide

peut-être parce qu’elle aussi elle nous regarde et se dit :

Les pauvres, comme ils sont seuls !

Comme ils doivent avoir faim !

Comme ils ont l’air perdus sur leur bout de banquise qui dérive, qui dérive…

vers on ne sait où, jusqu’à on ne sait quand …

Dis-moi, Papa, crois-tu que nous,

les ours blancs, on survivra, à cette drôle de tempête,

à ce bizarre blizzard, qui tombe sur nos têtes ?

Un poème d’Aude Bernède

Illustration Gallica : Titre :  [Illustrations de Histoire naturelle des mammifères, t. II] / Wermer, Huet, Maréchal… [et al.], dess. ; C. de Lasteyrie, lithogr. ;

Etre un dinosaure

J’aurais bien aimé être un dinosaure pour toucher le ciel avec mes crêtes

Une fois morte, on m’aurait mise dans un musée

en petits morceaux

et les gens seraient passés devant en souriant

J’aurais bien ri, cachée derrière mes fragments

J’aurais croisé des gens d’une autre époque

des étudiants en médecine qui arborent des dents brillantes

des gamines qui traînent le pied

leurs frères un peu arrogants

J’aurais parfois soufflé un mot pour faire peur  »approche… »

et la grand-mère la plus digne serait devenue blanche en pressant fort son pouce sur son alliance

La nuit, le gardien m’aurait raconté l’histoire du premier Homo Sapiens

et l’histoire de la station aérospatiale européenne

et l’histoire du Covid 19

et l’histoire des fleurs

et j’aurais pleuré un peu en pensant à mes frères

et puis le gardien serait sorti pour ne plus jamais revenir

 

et avec tous les Homos Sapiens masqués

au milieu de mes os épars

j’aurais rêvé d’un nouveau monde

 

Un poème de Delphine Burnod

illustré par une image numérisée par Gallica Monde avant la création de l’homme : origines de la terre, origines de la vie, origines de l’humanité…

Un ciel suivi de Entre les récifs urbains

Un ciel silencieux
Lisse et sans noirceur

Incommensurable
L’orage est passé

Voici un nuage
Qui au loin s’avance

Chargé de mystères
D’angoisse et d’espoir

Voici un poème

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Entre les récifs urbains
Se faufile une frégate

Dont les phares ardents flottent
Sur les frimas fantastiques

Les fiers marins des faubourgs
Affrontent flots et saisons

Et font rêver les enfants
Qui les saluent aux fenêtres

Aventuriers fabuleux
Éboueurs infatigables

Deux poèmes de Victor Ozbolt

Image : [De lourds nuages montaient dans le ciel] : [estampe] ([Fumé]) / G. Doré ; Pannemaker/ source : Gallica

Les fables de La Fontaine au 21ème siècle

 

Premier épisode : le lièvre et la tortue

Si le fabuliste Jean de La Fontaine, dont le père était chargé de la surveillance des rivières et des forêts, était encore des nôtres, nous ne doutons pas qu’il prendrait la destruction de l’environnement dont nous sommes témoins en ce 21ème siècle comme sujet de ses réflexions.

La série « Les fables de La Fontaine, la suite » donne une suite contemporaine à certaines de ses fables qu’il avait lui-mêmes empruntées à Esope, en les adaptant aux préoccupations d’aujourd’hui.

Nous vous en souhaitons bonne lecture et invitons nos chers lecteurs et lectrices à nous tenir informé.e.s des réactions des enfants ou à leur faire inventer leurs propres suites de La Fontaine, pour stimuler leur créativité !

La fable est téléchargeable, cliquez ici pour ouvrir le .pdf

Les éditions Sonorité autorisent la diffusion de ces fables dans les cadres non commerciaux, en famille ou à l’école. N’hésitez pas à nous tenir informé.e.s, cela nous fera plaisir.

L’attribution est obligatoire.
Illustrations : Claude Biche
Adaptation : Jennifer Lavallé d’après la fable de La Fontaine

A bientôt pour l’épisode 2 : La cigale et la fourmi, la suite…
Sonorité éditions, février 2020

Le poème

Le poème est pareil au fruit
mûr et gorgé de saveurs
Encore amer, déjà juteux
S’offrant à la main du cueilleur
Qui le dégustera lentement
Ou affamé l’engloutira
Dans le secret
D’une promenade
À moins d’en partager les graines
Autour d’une large tablée ?

Le poème comme les fruits
Se goûte et se partage

Jennifer Lavallé