La victoire du rien

À l’opposé du tout, il y a le rien. Ce petit rien du quotidien qui sombre souvent dans l’indifférence. J’ai essayé de lui rendre hommage à travers ces 5 poèmes formant un ensemble.

Olivier Souillard

1.

Juste ce couloir d’immeuble
L’attente qui en découle
Le temps qui se tait
Le rien qui se crée
Le vent absent
Rester là, juste là

2.

Juste cette rampe d’escalier du métro,
Qui accueille des millions de mains.

Des mains tremblantes, chancelantes, ardentes.

L’inclinaison doit être parfaite
Le glissement sans encombre

Et si un inconnu chute quand même,
Rire en silence

3.

Juste ce pot d’échappement qui tousse.
Dans un tourbillon d’hésitation du langage,
Son bruit saccadé me rappelle la difficulté de m’exprimer

4.

Juste une étagère que je croyais étrangèreMais elle a ce pouvoir si étrange
Cette manière de porter mes souvenirs
Les ranger
Les déranger
Les façonner dans la matière

Jusqu’à toucher mes yeux noirs remplis de mémoire

5.

Juste ce mot,

Seul

Heureux dans la brume.

 Olivier Souillard

Illustration : Titre :  La Vieille : Que crains-tu ? un large trou noir ! Il est vide peut-être ? : [estampe] / Odilon Redon sur Gallica

Plumage d’adages

Par Philippe Minot

 

A livre d’enfant, souvenirs méchants.

A vive abeille, rude miel.

Comme la vague, la pensée déferle.

Dieu s’épanche, le Diable exulte, le fou éructe, le sage se contient et le monde se maintient.

La chaise préfère l’assise à l’assis.

La faim ne talonne que les affamés.

La parole dit plus que silence mais moins que regard.

La poésie brandit le sceptre d’un spectre.

La terre grandit celui qui plante et inhume celui qui récolte.

La toilette purifie moins la peau que la conscience.

La victoire reste au Diable.

Le bois croît dans l’espoir du bûcher.

Le chat devine le tigre.

Le ciel est miel, le réel est fiel.

Le destin du lièvre n’est pas toujours le civet.

Le facile est un miroir sans tain, le difficile te renvoie ton reflet.

Le facile te détruit, le possible se construit.

Le fleuve bat ses rives, le simple ses cartes.

Le fruit est plus cultivé que l’acheteur ne le suppute.

Le mot est un silence qui refuse de se taire.

Le récit conduit le rêve, le poème mène la danse.

Le soir se garde bien de réveiller la nuit.

Le silence rôde entre la volubilité des âmes et la sécheresse des lèvres.

Le silence parle entre la clarté des coeurs et l’obscurité des gorges.

Le soldat défile, les heures aussi.

Le soleil vrai n’est pas dans le ciel mais dans la rivière.

Le tombeau se garde bien de pleurer.

L’aile est un renoncement et une élévation, nullement un abandon.

L’effort coûte plus que sable qui s’amoncelle.

L’image balaie les scories de ce que nous sommes.

L’ironie, c’est un proverbe qui se refuse comme un cheval qui hennit.

Nous jouissons moins du jour que nous ne souffrons de la nuit.

Odeur légère, amour éphémère.

Plus, à l’arbre, la cigale casse l’oreille ; plus, sous l’arbre, le berger s’ensommeille.

Plus le soleil s’éteint, plus l’angoisse t’étreint.

Pour le remords, maintenant est déjà demain.

Pour le sorcier, sourciller, c’est déjà prier.

Quand le soleil se couchera, on y verra plus clair.

Si le soleil scintille, la tête, elle, s’incline.

Tant va l’estomac qu’à la faim il rechigne.

Tôt bouclé tôt bâclé.

Tout portrait est plus fidèle au fiel qu’au modèle.

Image d’illustration Le Petit Marseillais illustré, 4 janvier 1890

Secret de poète !

La nuit tombe à présent, et dévore le monde à pleines dents…Dans le placard de ma chambre, où
sont empilés soigneusement les draps et les oreillers, vit un petit dragon nommé Doudou. C’est un
bébé, un dragonneau. Il mesure 1 millimètre à peine. Il ne crache pas encore de feu. Il a des yeux
feux d’artifices qui luisent dans le noir. Il ne ferait pas de mal à une mouche.
Je lui rends visite le soir quand tout le monde ronfle. Je lui apporte des bonbons au citron. Je lui
raconte des histoires pour l’endormir.

Les lits-cornes sont dangereux. Alors je l’emmène dans mon lit-barque…

Nous regardons ensemble les berges de la rivière. Les animaux étranges, les loupsours,
les tigres ailés, les lapins-araignées, les vers luisants… ne peuvent rien contre nous !
Doudou ne cesse de les narguer depuis la barque.

J’ai déjà voulu l’emmener à l’école mais il ne veut pas. Il dit qu’il est mon secret et que je dois le garder dans mon armoire, à l’abri des regards !

Et il me chuchote avec son drôle d’accent :
Etre poète, c’est faire
des rois et des reines,
des donjons où enfermer ton chagrin
des lits pour voyager
au-dessus des villes, des paysages, des forêts
d’une épluchure, un personnage
d’un tapis, un voyage
d’un fil, une rêverie
d’une tomate, du sang
d’une flaque, un océan
de sable, des châteaux,
des roses, des enfants
des planètes, des maisons
où se promener
où frissonner
où se perdre
des labyrinthes sans fin
peuplés de jeux et de rencontres inattendues

Jennifer Lavallé

Bizarre blizzard

Bizarre blizzard

Dis Papa, tu ne trouves pas que le froid est encore plus froid,

le soleil plus haut, le soleil plus chaud ?

Tu ne trouves pas, Papa, que le monde a changé ?

La petite étoile, là-bas, regarde, elle a bougé !

Ne sens-tu pas, Papa, que le vent souffle vers d’autres rivages

et que les nuages ont changé de visages ?

Dis-moi, Papa, ne trouves-tu pas

que le monde aujourd’hui est un peu différent ?

et que la lune hier si douce

n’est plus tout à fait comme avant ?

Il me semblait encore hier, mais hier c’était il y à longtemps

qu’elle nous souriait parfois, de temps en temps…

Regarde, comme elle est loin ! Elle a l’air triste et froide

peut-être parce qu’elle aussi elle nous regarde et se dit :

Les pauvres, comme ils sont seuls !

Comme ils doivent avoir faim !

Comme ils ont l’air perdus sur leur bout de banquise qui dérive, qui dérive…

vers on ne sait où, jusqu’à on ne sait quand …

Dis-moi, Papa, crois-tu que nous,

les ours blancs, on survivra, à cette drôle de tempête,

à ce bizarre blizzard, qui tombe sur nos têtes ?

Un poème d’Aude Bernède

Illustration Gallica : Titre :  [Illustrations de Histoire naturelle des mammifères, t. II] / Wermer, Huet, Maréchal… [et al.], dess. ; C. de Lasteyrie, lithogr. ;

Etre un dinosaure

J’aurais bien aimé être un dinosaure pour toucher le ciel avec mes crêtes

Une fois morte, on m’aurait mise dans un musée

en petits morceaux

et les gens seraient passés devant en souriant

J’aurais bien ri, cachée derrière mes fragments

J’aurais croisé des gens d’une autre époque

des étudiants en médecine qui arborent des dents brillantes

des gamines qui traînent le pied

leurs frères un peu arrogants

J’aurais parfois soufflé un mot pour faire peur  »approche… »

et la grand-mère la plus digne serait devenue blanche en pressant fort son pouce sur son alliance

La nuit, le gardien m’aurait raconté l’histoire du premier Homo Sapiens

et l’histoire de la station aérospatiale européenne

et l’histoire du Covid 19

et l’histoire des fleurs

et j’aurais pleuré un peu en pensant à mes frères

et puis le gardien serait sorti pour ne plus jamais revenir

 

et avec tous les Homos Sapiens masqués

au milieu de mes os épars

j’aurais rêvé d’un nouveau monde

 

Un poème de Delphine Burnod

illustré par une image numérisée par Gallica Monde avant la création de l’homme : origines de la terre, origines de la vie, origines de l’humanité…

Les fables de La Fontaine au 21ème siècle

 

Premier épisode : le lièvre et la tortue

Si le fabuliste Jean de La Fontaine, dont le père était chargé de la surveillance des rivières et des forêts, était encore des nôtres, nous ne doutons pas qu’il prendrait la destruction de l’environnement dont nous sommes témoins en ce 21ème siècle comme sujet de ses réflexions.

La série « Les fables de La Fontaine, la suite » donne une suite contemporaine à certaines de ses fables qu’il avait lui-mêmes empruntées à Esope, en les adaptant aux préoccupations d’aujourd’hui.

Nous vous en souhaitons bonne lecture et invitons nos chers lecteurs et lectrices à nous tenir informé.e.s des réactions des enfants ou à leur faire inventer leurs propres suites de La Fontaine, pour stimuler leur créativité !

La fable est téléchargeable, cliquez ici pour ouvrir le .pdf

Les éditions Sonorité autorisent la diffusion de ces fables dans les cadres non commerciaux, en famille ou à l’école. N’hésitez pas à nous tenir informé.e.s, cela nous fera plaisir.

L’attribution est obligatoire.
Illustrations : Claude Biche
Adaptation : Jennifer Lavallé d’après la fable de La Fontaine

A bientôt pour l’épisode 2 : La cigale et la fourmi, la suite…
Sonorité éditions, février 2020

Le poème

Le poème est pareil au fruit
mûr et gorgé de saveurs
Encore amer, déjà juteux
S’offrant à la main du cueilleur
Qui le dégustera lentement
Ou affamé l’engloutira
Dans le secret
D’une promenade
À moins d’en partager les graines
Autour d’une large tablée ?

Le poème comme les fruits
Se goûte et se partage

Jennifer Lavallé

Un trou dans la page, album poétique

L’association Sonorité, éditrice de la revue en ligne « Chamboule-tout – Poésie pour les Enfants » est heureuse de vous annoncer la parution de son premier titre de livre « Un trou dans la page : Si les arbres pouvaient parler ». Membre de l’association L’autre Livre, l’association édite sans but lucratif.

Sur un récit de Jennifer Lavallé et des tableaux de Claude Biche, l’album « Un trou dans la page » emmène l’enfant loin de sa chambre, au coeur de la forêt primaire. Une histoire pour découvrir les merveilles de la nature….

Un financement participatif sur la plateforme Zeste a permis la publication de l’ouvrage en papier recyclé 170 grammes. En effet, l’association Sonorité souhaitait publier un livre d’images pour faire rêver les jeunes enfants (à partir de trois ans), et leur faire en même temps comprendre que c’est de la nature que nous tenons toutes les merveilles que nous pouvons voir et entendre. L’enfant tire, à travers un trou découvert au creux d’une page, sur le fil d’un récit fantastique, qui l’emmènera jusqu’à la découverte d’un secret à transmettre…

Notre souhait est d’éditer, dans la tradition des beaux livres d’images, un ouvrage que l’enfant aura envie de lire et de relire, qu’il ouvrira parfois seulement pour le plaisir des images, et qu’il aura envie de conserver. Un ouvrage à rebours du livre consommable, édité avec du papier respectueux de l’environnement et dans un format maniable par de petites mains. Un livre qui place la nature au cœur de ses préoccupations et éveille l’enfant au respect de la biodiversité.

Les images sont peintes à la main en techniques traditionnelles par Claude Biche, artiste peintre et photographe formée aux Beaux-Arts à Mons et Bruxelles (Belgique). Née en 1953, passionnée depuis toujours de jardins et de plantes, Claude Biche s’exprime par l’image, qui tient une place essentielle dans l’album, par l’expressivité des couleurs et des personnages. L’image raconte, autant que le texte.

Le récit est de Jennifer Lavallé, monteuse, documentaliste et autrice éditée dans des revues et recueils poétiques collectifs. Elle souhaite sensibiliser les enfants à l’urgence de la lutte contre l’extinction massive des animaux. Son souhait : donner la parole à la nature, en laissant une place au rêve et au merveilleux, afin de susciter l’espoir et le courage, plutôt que la désespérance…

L’ouvrage peut être commandé via Librest ou en librairie.

Les libraires et bibliothécaires peuvent également directement contacter l’association en envoyant un email à poesie@chambouletout.fr

L’ouvrage se prête bien à des rencontres autour de la thématique du papier (histoire, fabrication) et à la sensibilisation au respect de la nature.

Le livre

Le livre a des ailes

et des lettres de plumes
Libère-le !
Et que de main en main,
de caresse en caresse,
Il resplendisse !
Le livre est fait pour vivre au grand air
Tel la poussière
Devenue Baobab
Il a besoin d’être bu beaucoup et souvent
aimé beaucoup et souvent
Il pourra alors vivre
longtemps

 

Jennifer Lavallé

Uchronies éoliennes

La série des Uchronies éoliennes, réalisée par l’artiste belge Claude Biche sur une idée et des textes de Jennifer Lavallé, explore les chefs d’oeuvre de la peinture sur la base d’une interprétation uchronique de l’histoire. Et si, à l’heure de la révolution industrielle, les éoliennes avaient été tout à coup effacées des toiles de maîtres ? Et si la transition énergétique avait en réalité déjà eu lieu ? Comment les grands peintres de l’histoire auraient-ils peint ces paysages du passé peuplés d’éoliennes ? Les Uchronies éoliennes nous invitent à appréhender avec un regard décalé les paysages passés, présents et futurs.

L’uchronie éolienne « La Chute d’Icare » revisite un tableau de Pieter Brueghel l’Ancien (1525-1569), probablement une copie d’un original disparu, exposée au Musée royal d’art ancien à Bruxelles. Dans cette uchronie, Claude Biche intègre harmonieusement les éoliennes au paysage. Tout comme le soleil est une source d’énergie renouvelable, le vent est la force dont les éoliennes tirent parti. Les éoliennes s’accordent à la nature dont elles révèlent la toute puissance. Si Icare tombe et se noie, ainsi que nous le raconte un mythe ancien, c’est qu’il a cru braver les lois de la gravité et de la nature. Il plonge dans le vert émeraude profond de l’océan, sans que personne ne le remarque… Le paysan qui travaille la terre, lui, se concentre avec ardeur, sur sa tâche, sans le remarquer…

© Claude Biche – [Uchronies éoliennes] – 2016
Uchronie d’une oeuvre de Pieter Brueghel l’Ancien, « La Chute d’Icare » [Domaine Public], via Wikimedia Commons
L’uchronie éolienne Portrait de Simonetta Vespucci est un hommage à une jeune femme : bien que Génoise d’origine, Simonetta était célèbre dans la Florence de la Renaissance énérgétique. Le peintre a multiplié les symboles qui rendent la jeune femme intemporelle. Sa coiffure n’a aucun rapport avec la mode de l’époque. La profusion de perles dans ses cheveux symbolise son innocence. La représentation du serpent rappelle la mort prématurée de Simonetta, atteinte de tuberculose. Les éoliennes dans le paysages font écho aux bijoux dans la coiffure de Simonetta, sorte de collier au paysage, sur lequel soufflent des vents contraires.

Les Uchronies éoliennes nous invitent à appréhender avec un regard décalé les paysages passés, présents et futurs.

© Claude Biche – [Uchronies éoliennes] -2016
Licence Creative Commons
Uchronie d’une oeuvre de Pieri di Cosimo, « Portrait de Simonetta Vespucci  » [Domaine Public], via Wikimedia Commons

Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 France
© Claude Biche – [Uchronies éoliennes] – 2016
Uchronie d’une oeuvre de Jacob Grimmer, « Hiver  » [Domaine Public], via Wikimedia Commons

Licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 3.0 FR)
Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 France

Sous-titre : « Hiver «