Au centre du cercle

Je t’aime de toutes les manières qui existent et de celles qui n’existent pas
Je t’aime tel un toro se rue, le front offert, sous la lame de lune, genou à terre, serment devant
Je t’aime comme le soleil berce la terre, de mille feux
Je t’aime tels dès l’aurore, les coquelicots révèlent fiers, le jade des prairies humides de Namibie
Je t’aime au centre du cercle, il s’étend infiniment
Je t’aime en un sourire, aussi sensible qu’indescriptible, aux papilles nacrées
Je t’aime comme une kermesse inédite, elle éveille la ville, les pas nocturnes
Je t’aime tel l’aigle pique, insensé, de la falaise vers l’océan déchaîné, le plus téméraire des oiseaux
Je t’aime comme une farandole de chérubins fanfaronnant sur leurs nuages, ceux qui louent suaves, grâce au ciel, la gaieté bariolée
Je t’aime comme une goutte tombe dans la main, picote et dessine un destin
Je t’aime comme un choix si simple, une évidence, l’eau pure, cet instant où l’on découvre, quête d’une vie, l’or alchimique d’un pissenlit
Je t’aime semblable à la mer, celle là même qui caresse, perpétuelle la grève, au chant des sirènes, au la des étoiles
Je t’aime, plus fort, plus grand, plus beau qu’aimer me parait possible

Jean Leznod, auteur parisien, met en mots la magie sur son blog http://www.magiedumot.com/

Image : L’Amour et la mort : détail des Grotesques / artiste anonyme francais du XVIe / Source : Gallica, Bibiothèque Nationale de France

Vous n’approcherez pas

Tout coule de partout
Phréatique et lourd
Et rejoint les fissures

Dans l’œil du héron
la distance
Dans l’envol la réponse
farouche

L’indompté s’élève sauvage

Chaque pas
Plomb et semelles
Révèle l’ombre

– Vous n’approcherez pas !

Un poème d’Eric Costan, un dimanche de janvier 2019

[Héron] : [estampe] / J [Prosper Alphonse Isaac] [monogr.] Source : Gallica

Le parfum d’Aristée

C’est Place des fêtes, au stand des miels de Paris, que j’apprends ce qu’est, dans la langue des apiculteurs, le parfum d’Aristée : un tampon odorant à la propolis, miellé, à passer sur les parois d’une ruche désertée, pour attirer l’essaim.

On nous rappelle ici-même, devant la pyramide des bocaux, l’histoire du fils d’Apollon.

Quand vient au monde Aristée les nymphes, ses tantes, lui attribuent en cadeau de naissance le soin des abeilles, et un don nouveau : celui de leur créer des abris, de leur donner un toit. Ce seront les premières ruches à miel.

Dieux et hommes admirent ces petites maisons dont Aristée est l’architecte.

Il gagne l’amitié des abeilles aux miels colorés, et se sent de cette famille.

Un beau matin, la jeune Eurydice va sur leur chemin, seule.

Tel le bourdon, voilà qu’Aristée la poursuit à travers champ.

Elle court, et tombe à terre, piquée à mort par un serpent caché dans l’herbe haute.

L’Olympe châtie le coupable, en le privant de toutes ses abeilles.

Après un long périple de repentance, il va retrouver ses ruches.

Depuis, avec ses messagères, Aristée veille sur la paix entre ciel et terre.

Ruches écoulant
leur miel sur nos toits –
nul chant d’oiseau ne vieillit

La campagne, livrée sans merci aux coupables dictats de l’industrie agro-alimentaire, n’offre plus que des moquettes jaunes de colza, des tapis de luzerne, de tournesols qui s’étendent sans fin. Ni hommes ni bêtes dans les champs. Alors les abeilles se sont réfugiées à Paris, ou dans tant d’autres cités au monde.

Pour leur sauvegarde et la nôtre, d’autres combats sont à mener, en Europe et ailleurs. Aidons nos abeilles de toujours.

Parfum d’Aristée
ses bonbons au miel –
bleue la planète fragile

Françoise Kerisel

 

Image :abeilles : [ La tête et le thorax sont en or, les ailes sont incrustées de grenats. Au revers, une attache ] Source : Gallica

Quatre haïkus d’Adonis Brunet

L’ombre du corbeau
En passant sur la prairie
Effraie la souris

Le vieil hérisson
Cherche fortune à la nuit
Dans le poulailler

La mésange bleue
Sous le toit de la maison
Protège son nid

Sur le nénuphar
La grenouille endormie
Sieste méritée

Adonis Brunet

 

Images : [Vignette, fumé pour l’illustration de : La Fontaine, Jean de, « Fables », « Le Renard, les mouches et le hérisson »] : [estampe] ([Fumé]) / G. Doré ; L. Fournier / Source : Gallica

[Grenouilles, iris et nénuphars] : [estampe] / Ch. Houdard / Source : Gallica

Poèmeraie

Un, deux, trois poèmes exquis de Françoise Urban-Menninger

Ces poèmes sont extraits du recueil « Poèmeraie »

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avez-vous déjà pris le thé
sur la nappe fleurie de l’été
toutes les fleurs invitées
ont ouvert leur corolle sur le pré
et attendent ainsi apprêtées
qu’on leur serve le thé

le ciel verse alors la rosée
dans les minuscules tasses à thé
faites de pétales étoilés
il y ajoute un nuage de lait
puis les fleurs très bien élevées
s’abreuvent le petit doigt levé

+++

les jonquilles sous la pluie
tendent le cou
sur leur tige qui plie
et boivent à petits coups
le ciel tout entier versé
dans leur tasse à thé
posée là exprès
comme un soleil sur le pré

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la petite pomme
a mis sa robe d’automne
et coiffé son chapeau jaune
si elle roule de travers
ce n’est point pour faire un vers
mais tout simplement pour éviter le ver
qui la voudrait tout à lui
sous le soleil qui luit
entre trois gouttes de pluie

Françoise Urban-Menninger

Image : gravure extraite de la revue horticole, 1907

Autour des jardins

En cliquant sur l’image ci-dessous, vous découvrirez un magnifique recensement de textes poétiques sur les jardins, où l’on se perd avec délectation !
 
  
Exemple avec le poème SURPRISE, d’Anna de Noailles
 
Je méditais; soudain le jardin se révèle
Et frappe d’un seul jet mon ardente prunelle.
Je le regarde avec un plaisir éclaté;
Rire, fraîcheur, candeur, idylle de l’été!
Tout m’émeut, tout me plaît, une extase me noie,
J’avance et je m’arrête; il semble que la joie
Etait sur cet arbuste et saute dans mon coeur!
Je suis pleine d’élan, d’amour, de bonne odeur,
Et l’azur à mon corps mêle si bien sa trame
Qu’il semble brusquement, à mon regard surpris,
Que ce n’est pas ce pré, mais mon oeil qui fleurit
Et que, si je voulais, sous ma paupière close
Je pourrais voir encor le soleil et la rose.
 
« Les Eblouissements »
Anna de Noailles
 
 

Un tableau de Claude Biche

Les tableaux d’illustration sont de  l’artiste Claude Biche, pour un projet d’album jeunesse que prépare Sonorité, l’association éditrice de la revue en ligne Chamboule-Tout, et qui verra le jour en 2018

Cioran : sagesse et… folie

Parce qu’ils ne trouvaient pas le sommeil, deux amis, Paul Celan et Emil Cioran, marchaient dans Paris, après minuit. Ils se sentaient plus proches d’être victimes du même mal : ne pas connaître l’apaisement de dormir.

 

« L’insomnie est une lucidité vertigineuse… Tout est préférable à cet éveil permanent, à cette absence criminelle de l’oubli. » notait Cioran dans ses Cahiers.
Ils marchaient, tourmentés, faisant plusieurs fois le tour du Luxembourg, dans les années 60 pour un peu de calme.
 « – Je suis comme ce fou qui à toutes les questions que lui posaient les psychiatres répondait :
– Je veux avoir la paix. »
Cioran s’était essayé aux sagesses de jadis et naguère, se savait « incapable d’être un véritable Bouddha, un complet sceptique, ou un nihiliste sans retour » tel Pyrrhon épris d’ataraxie : ce philosophe grec cherchait à n’être que le moyeu autour duquel tourne la roue, après avoir voyagé en Inde, au temps d’Alexandre le Grand.
Cioran voulut alors faire écrire sur sa porte « Fou dangereux », pour défendre sa solitude.
 Donc les deux amis marchaient, marchaient, égayés un instant par l’humour de Cioran.
– « Tous les êtres sont malheureux, mais combien le savent ? »
Paul Celan, dans son exigence, avait traduit en allemand le traité de son ami, « Précis de décomposition »,  à la première personne.
D’abord, « le fait que j’existe prouve que le monde n’a pas de sens. »
Ensuite, « il n’est pas de consolation ici-bas, car tout nous blesse, et rien ne nous fait mourir. »
 Ils souriaient souvent, par ironie
– « Heureusement que Job n’explique pas trop ses cris. »
Seule joie immense pour eux sur cette terre, « la lumière de l’aube, la vraie lumière, la lumière primordiale. »
Ils l’attendaient, comme on attend la délivrance, en marchant, en écrivant.
– Alors, dit Cioran, « je bénis mes mauvaises nuits qui m’offrent l’occasion d’assister au spectacle du Commencement. »
Par Françoise Kerisel  Cf. Cahiers, de Cioran. Éditions Gallimard / 999 pages
Image Palatium Luxemburgi ex parte Viridarii : [estampe] 

Le sapin de Noël

La famille où le sapin se retrouva la veille de Noël
l’avait décoré de jolies boules et de guirlandes lumineuses
mais n’avait pas accroché d’étoile tout en haut,
l’étoile s’était perdue avec les années
et les parents s’en apercevaient toujours trop tard

Le sapin fraîchement paré
trouva les flammes des bougies sur la table
douces et tranquilles
et eut envie de leur demander
de l’aider à scintiller encore plus

Il se souvenait comme dans un rêve
qu’avant, des bougies décoraient
les branches des sapins
et les Noëls étaient inoubliables

Mais il savait aussi
qu’avec les flammes
il ne suffit pas d’être gentil
il fallait surtout leur accorder beaucoup d’attention

Il décida de ne plus penser aux bougies
Le sapin fraîchement paré
aperçut par la fenêtre de toit
une étoile qui brillait plus que les autres
et eut envie de lui demander
de l’aider à scintiller de la même façon

Mais il savait aussi
que c’était bien inutile
d’espérer une étoile du ciel
car elle avait sa vie d’étoile

Il décida de ne plus penser aux étoiles
Et voilà que juste avant que le Père Noël n’arrive
la petite fille s’approcha du sapin
avec une étoile en papier brillant
et demanda à son papa
de l’accrocher tout en haut,
à la seconde où le papa l’accrocha
elle étincela autant qu’une vraie

Entre nous, c’est le grand frère qui dirigea vers l’étoile
le faisceau de lumière de sa lampe torche
mais c’est un secret, ne le dites pas à la petite fille

Tu es le plus beau des sapins,
dit la fillette,
Père Noël pouvait arriver
le sapin étincelait de mille lumières

et surtout, avait une vraie étoile.

Par Iocasta Huppen

Image :  19/12/25, sapins de Noël, quai aux fleurs : [photographie de presse] / [Agence Rol]

L’araignée, la montre et les violonistes

L’araignée
Un corps
Un cœur
Huit pattes
Huit yeux
Sa toile
Et la peur autour d’elle

+++

Ma montre
M’aiguille
Me montre
Me démontre
Que je suis
Encore
En retard

+++

J’aime les violonistes
Qui tapent du pied
Tapent du pied

J’aime les violonistes
Qui aiment jouer
Aiment jouer

J’aime le violoniste
Qui s’accorde
Sa corde

J’aime le musicien
Qui vit au long
Vit au long

J’aime le musicien
Qui joue sous la pluie
Joue sous la pluie

J’aime celui qui joue
Quand il pleut des cordes
Pleut des cordes

Tape du pied
Musicien

Tape du pied
Va et vient

Tape du pied
Vit au loin

Par Jo Galetas

Image :[Les Gobbi]. [12], [Le joueur de violon] : [estampe] / [Jacques Callot] / GALLICA

 

Mon enfant

.
De mon enfant
je connais chaque cheveu,
chaque centimètre de peau,
chaque sourire,
et chaque larme versée sur mon épaule
.
De mon enfant
je connais ses rêves et ses cauchemars,
chaque révolte et chaque joie,
chaque colère, même la plus cachée
.
De mon enfant
le jour où il grandira
et ne me dira plus grand-chose,
je connaîtrai tout.
.
Par Iocasta Huppen

Image : Titre :
Enfant aux jouets : [estampe] ([1er état]) / Jean Emile Laboureur / Gallica