Un ciel suivi de Entre les récifs urbains

Un ciel silencieux
Lisse et sans noirceur

Incommensurable
L’orage est passé

Voici un nuage
Qui au loin s’avance

Chargé de mystères
D’angoisse et d’espoir

Voici un poème

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Entre les récifs urbains
Se faufile une frégate

Dont les phares ardents flottent
Sur les frimas fantastiques

Les fiers marins des faubourgs
Affrontent flots et saisons

Et font rêver les enfants
Qui les saluent aux fenêtres

Aventuriers fabuleux
Éboueurs infatigables

Deux poèmes de Victor Ozbolt

Image : [De lourds nuages montaient dans le ciel] : [estampe] ([Fumé]) / G. Doré ; Pannemaker/ source : Gallica

Les fables de La Fontaine au 21ème siècle

 

Premier épisode : le lièvre et la tortue

Si le fabuliste Jean de La Fontaine, dont le père était chargé de la surveillance des rivières et des forêts, était encore des nôtres, nous ne doutons pas qu’il prendrait la destruction de l’environnement dont nous sommes témoins en ce 21ème siècle comme sujet de ses réflexions.

La série « Les fables de La Fontaine, la suite » donne une suite contemporaine à certaines de ses fables qu’il avait lui-mêmes empruntées à Esope, en les adaptant aux préoccupations d’aujourd’hui.

Nous vous en souhaitons bonne lecture et invitons nos chers lecteurs et lectrices à nous tenir informé.e.s des réactions des enfants ou à leur faire inventer leurs propres suites de La Fontaine, pour stimuler leur créativité !

La fable est téléchargeable, cliquez ici pour ouvrir le .pdf

Les éditions Sonorité autorisent la diffusion de ces fables dans les cadres non commerciaux, en famille ou à l’école. N’hésitez pas à nous tenir informé.e.s, cela nous fera plaisir.

L’attribution est obligatoire.
Illustrations : Claude Biche
Adaptation : Jennifer Lavallé d’après la fable de La Fontaine

A bientôt pour l’épisode 2 : La cigale et la fourmi, la suite…
Sonorité éditions, février 2020

Les arbres

Dans l’azur de l’avril, dans le gris de l’automne,
Les arbres ont un charme inquiet et mouvant

Le peuplier se ploie et se tord sous le vent
Pareil aux corps de femme où le désir frissonne.
Sa grâce a des langueurs de chair qui s’abandonne,
Son feuillage murmure et frémit en rêvant
Et s’incline, amoureux des roses du
Levant.

Le tremble porte au front une pâle couronne.
Vêtu de clair de lune et de reflets d’argent,
S’effile le bouleau dont l’ivoire changeant
Projette des pâleurs aux ombres incertaines.

Les tilleuls ont l’odeur des âpres cheveux bruns,
Et des acacias aux verdures lointaines
Tombe divinement la neige des parfums.

Renée Vivien

Image : Jaffa. Arbre [et homme debout] : [photographie] / Joseph Philibert Girault de Prangey / Source : Gallica / BNF

Des peintres et des phénix

« Les phares » de Charles Baudelaire

Rubens, fleuve d’oubli, jardin de la paresse,
Oreiller de chair fraîche où l’on ne peut aimer,
Mais où la vie afflue et s’agite sans cesse,
Comme l’air dans le ciel et la mer dans la mer ;

Léonard de Vinci, miroir profond et sombre,
Où des anges charmants, avec un doux souris
Tout chargé de mystère, apparaissent à l’ombre
Des glaciers et des pins qui ferment leur pays,

Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures,
Et d’un grand crucifix décoré seulement,
Où la prière en pleurs s’exhale des ordures,
Et d’un rayon d’hiver traversé brusquement ;

Michel-Ange, lieu vague où l’on voit des Hercules
Se mêler à des Christs, et se lever tout droits
Des fantômes puissants qui dans les crépuscules
Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts ;

Colères de boxeur, impudences de faune,
Toi qui sus ramasser la beauté des goujats,
Grand coeur gonflé d’orgueil, homme débile et jaune,
Puget, mélancolique empereur des forçats,

Watteau, ce carnaval où bien des coeurs illustres,
Comme des papillons, errent en flamboyant,
Décors frais et légers éclairés par des lustres
Qui versent la folie à ce bal tournoyant ;

Goya, cauchemar plein de choses inconnues,
De foetus qu’on fait cuire au milieu des sabbats,
De vieilles au miroir et d’enfants toutes nues,
Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ;

Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges,
Ombragé par un bois de sapins toujours vert,
Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges
Passent, comme un soupir étouffé de Weber ;

Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;
C’est pour les coeurs mortels un divin opium !

C’est un cri répété par mille sentinelles,
Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;
C’est un phare allumé sur mille citadelles,
Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois !

Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité !

Image :

Titre :  La Belle feronnière (sic). année 1539. Auteur :  Léonard de Vinci (1452-1519). Peintre de l’oeuvre reproduite / Source : Gallica BNF


Ode à Aphrodite, à Sapho et à Renée

Sappho est une poétesse grecque de l’Antiquité qui a vécu aux septième siècle et sixième siècles sur l’île grecque de Lesbos. Très célèbre durant l’Antiquité, son oeuvre ne subsiste plus qu’à l’état de fragments, les Papyri d’Oxyrhynque notamment. Et pourtant ces bribes sont aimés par nombre de poètes qui voient en Sapho une poétesse de l’amour éternel. Ainsi Renée Vivien qui a traduit son oeuvre au dix-neuvième siècle et qu’on nommait la Sapho 1900 !

Les voici qui s’adressent toutes deux à Aphrodite :

Toi dont le trône est d’arc-en-ciel,
immortelle Aphrodita,
fille de Zeus, tisseuse de ruses,
je te supplie de ne point dompter mon âme,
ô Vénérable, par les angoisses et les détresses.

Mais viens, si jamais, et plus d’une fois,
entendant ma voix, tu l’as écoutée, et,
quittant la maison de ton père, tu es venue,
ayant attelé ton char d’or.

Et c’était de beaux passereaux rapides
qui te conduisaient.
Autour de la terre sombre
ils battaient des ailes,
descendus du ciel à travers l’éther.

Ils arrivèrent aussitôt, et toi,
ô Bienheureuse, ayant souri de ton visage immortel,
tu me demandas ce qui m’était advenu,
et quelle faveur j’implorais,
et ce que je désirais le plus dans mon âme insensée.


« Quelle Persuasion veux-tu donc attirer vers ton amour ?
Qui te traite injustement, Psappha ?
Car celle qui te fuit promptement
te poursuivra, celle qui refuse tes présents
t’en offrira, celle qui ne t’aime pas
t’aimera promptement et même malgré elle. »

Viens vers moi encore maintenant,
et délivre-moi des cruels soucis,
et tout ce que mon coeur veut accomplir,
accomplis-le, et sois Toi-Même mon alliée.

Source des images : Gallica Sapho, Pho / Jacques-Louis David
Aphrodite : [estampe] / gypsographie Pierre Roche
– Sapho, Pho / Jacques-Louis David

Si

Si, l’un des plus beaux poèmes jamais écrits
Un poème à connaître par coeur
Ecrit par Rudyard Kipling en 1910
Publié par Rewards and Fairies
Réédité avec de magnifiques illustrations par les éditions Plume de Carotte

Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te remettre à rebâtir,
Ou perdre d’un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un seul mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un homme, mon fils

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If you can keep your head when all about you,
Are losing theirs and blaming it on you,
If you can trust yourself when all men doubt you,
But make allowance for their doubting too;
If you can wait and not be tired by waiting,
Or being lied about, don’t deal in lies,
Or being hated, don’t give way to hating,
And yet don’t look too good or talk too wise:

If you can dream and not make dreams your master;
If you can think and not make thoughts your aim;
If you can meet with Triumph and Disaster
And treat those two impostors just the same;
If you can bear the words you’ve spoken
Twisted by knaves to make a trap for fools,
Or watch the things you gave your life to, broken,
And stoop and build ’em up with worn-out tools:

If you can make one heap of all your winnings
And risk it on one turn of pitch-and-toss,
And lose, and start again at your beginnings
And never breathe a word about your loss;
If you can force your heart and nerve and sinew
To serve your turn long after they are gone,
And so hold on when there is nothing in you
Except the Will which says to them: »Hold on! »

If you can talk with crowds and keep your virtue,
Or walk with Kings–nor lose the common touch,
If neither foes nor loving friends can hurt you,
If all men count with you, but none too much;
If you can fill the unforgiving minute
With sixty seconds worth of distance run,
Yours is the Earth and everything that’s in it,
And–which is more–you’ll be a man, my son!

Titre :
[Nature morte à l’ours en peluche] : [photographie] / [non identifié] – Gallica

Arachné

A travers ce texte, Françoise Kerisel nous rappelle que, d’Arachné à Louise Bourgeois, l’esprit « Me Too » et le désir de libération des femmes sont depuis bien longtemps au coeur de l’actualité.

Il est au monde deux familles peu réconciliables: d’abord celle qui s’attendrit sur l’araignée, cette Pénélope du monde animal, tissant, solitaire, sa toile fragile sans cesse recommencée.

Ainsi, dit Colette, Sido laissa certain matin une araignée glisser, sur son fil sécrété, jusqu’au chocolat de sa tasse.

Il est une autre espèce humaine que la minuscule créature n’attendrit pas. Elle lui donne de l’effroi car elle oeuvre dans l’ombre avec beaucoup trop de pattes noires… A en croire un  » Dico des rêves  » , l’araignée est une image maléfique, un piège, un porte-malheur, et c’est du chagrin dès le matin.

Rassemblons-nous plutôt à l’écoute du mythe grec.

Il était une fois, en Lydie, une jeune brodeuse qui travaillait si bien qu’on venait de très loin admirer ses toiles. Aussi elle s’autorisa un jour à défier Athéna, la déesse.

La meilleure tisseuse de l’Olympe accepta. Elle allait remettre l’orgueilleuse enfant à sa place. Rendez-vous pris.

Elles s’installent face à face devant leur métier. Ce sont les douze dieux, en majesté, avec tous leurs attributs, qu’Athéna brode avec éclat.

Arachné, elle, a un plan. A l’aiguille, elle veut dénoncer les manœuvres de séduction de Zeus, dont de simples mortelles, comme elle-même, ont été les victimes.

L’attaque de la belle Europe, de Léda, de Danaé, d’Alcmène, de Mnémosyne est révélée au grand jour!

L’insolente beauté de la toile d’Arachné fait suffoquer d’indignation la déesse. Pour la fille-même de Zeus c’en est trop. Ulcérée, elle frappe la petite de sa navette, déchire la toile sacrilège de haut en bas. La voilà bien punie, sur la place publique, la gagnante du pari.

Désespérée, la jeune fille va se pendre. Elle balance encore, quand la déesse la saisit et la soutient en l’air, le temps de la changer en araignée. Ainsi elle conservera sa belle passion de filer, et de faire de la toile un infini.

Depuis les brodeuses de la grande famille humaine ont pris Arachné comme symbole, nous réconciliant tous. Louise Bourgeois s’en souvient, et signe son appartenance à une famille d’habiles tisserands, par ses superbes créations arachnéennes.

Rêvez sans crainte d’araignée, et même, c’est écrit.

« Si l’araignée est rouge: amour passionné.

Si l’araignée est blanche: quête mystique »…

 
 

Image : Titre :  [L’Araignée] : [estampe] / Jean Veber / Source Gallica

Autour des jardins

En cliquant sur l’image ci-dessous, vous découvrirez un magnifique recensement de textes poétiques sur les jardins, où l’on se perd avec délectation !
 
  
Exemple avec le poème SURPRISE, d’Anna de Noailles
 
Je méditais; soudain le jardin se révèle
Et frappe d’un seul jet mon ardente prunelle.
Je le regarde avec un plaisir éclaté;
Rire, fraîcheur, candeur, idylle de l’été!
Tout m’émeut, tout me plaît, une extase me noie,
J’avance et je m’arrête; il semble que la joie
Etait sur cet arbuste et saute dans mon coeur!
Je suis pleine d’élan, d’amour, de bonne odeur,
Et l’azur à mon corps mêle si bien sa trame
Qu’il semble brusquement, à mon regard surpris,
Que ce n’est pas ce pré, mais mon oeil qui fleurit
Et que, si je voulais, sous ma paupière close
Je pourrais voir encor le soleil et la rose.
 
« Les Eblouissements »
Anna de Noailles
 
 

Un tableau de Claude Biche

Les tableaux d’illustration sont de  l’artiste Claude Biche, pour un projet d’album jeunesse que prépare Sonorité, l’association éditrice de la revue en ligne Chamboule-Tout, et qui verra le jour en 2018

Le vilain petit Hans

A propos des contes d’Andersen

Par Françoise Kerisel
avec des illustrations de contes d’Andersen par Yan’ Dargent

D’où nous vient l’écriture?
Du fond des temps, du naufrage, de la nuit, de la douleur, de l’enfance.
Ainsi Andersen s’inspire-t-il de l’asile d’Odense, petite cité danoise au bord de l’eau.

 
 L’enfant y retrouvait sa grand-mère, aide-soignante affolée de dynasties et de princesses au petit pois.
Ou de la rivière glacée, qu’affrontait sa mère en lavant le linge de la ville haute.
Ou du pauvre soldat de plomb, son père, qui se perdit vite dans l’épopée napoléonienne, auquel le fils rend un hommage léger.
Ou du trafic d’allumettes au soufre de ses jeunes voisins.
Ou de l’établi du cordonnier, son beau-père, qui lui a beaucoup appris.
Car cette caste de petits artisans accueille, dit la tradition, avec les idées nouvelles,
les autodidactes, les beaux parleurs.
 
 
 
 
Viendront plus tard le savetier au Lys rouge d’Anatole France, ou celui d’Henri Bosco, Raptassou, qui fabriquent des souliers pour que nous marchions dans leurs rêves.
 
D’ailleurs Socrate, déjà, dans le Théétète, s’attarde sur l’art des chaussures.
En plein romantisme, Andersen figure donc l’arrivée en littérature de la misère, de la folie, du démuni, de la plèbe. Il écrit sans cesse des contes superbes, et connaît partout la célébrité. Mais il aime aussi disparaître sous le déguisement fragile et absurde du joujou.
Les signes de son destin ne cesseront de s’inverser.
C’est ainsi
qu’il poussera des ailes de cygne à un vilain petit canard,
Hans
Christian
Andersen

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L’éternelle jeunesse des poètes

Gérard Pourret des Editions Mouck réédite les textes de jeunesse des génies de la littérature, mais pas seulement. C’est à ce travail que nous nous intéressons aujourd’hui : la collection Juvenilia est à découvrir absolument, de Maurice Carême à Rimbaud en passant par Hugo, Daudet ou Mark Twain, chaque ouvrage donne un éclairage passionnant sur les premiers pas littéraires des grandes stars de la littérature !

Les textes écrits alors que ces grands noms n’étaient encore que des enfants ou des adolescents, sont souvent des inédits, ou n’ont du moins jamais été publiés en tant que tels. On appréciera la recherche iconographique qui donne à chaque texte de cette collection son caractère propre, sans formatage apparent. L’idée est aussi de désacraliser les monuments de la littérature, en donnant à découvrir des oeuvres de jeunesse, des textes parfois publiés avec des fautes d’orthographe, comme celui de Flaubert « Drôle de monde que ma tête ».

« La caverne du magicien » écrit par Lewis Carrol à dix-sept ans, et publié dans une revue familiale « Le parapluie du presbytère », présente déjà toutes les caractéristiques et l’originalité que l’on retrouvera quinze ans plus tard dans le célèbre « Alice aux pays des merveilles ». Le lecteur est partie prenante du récit : « Ami lecteur, oseras-tu pénétrer dans la caverne du grand magicien ? » Le rêve cauchemardesque et absurde qui va suivre est mis en images par l’artiste Anne Moreau-Vagnon, dont le travail original mêle photographies et marionnettes.

La démarche d’édition est d’autant plus remarquable que Gérard Pourret fait partie de ceux qui éditent aussi des oeuvres d’enfants. Une autre collection de sa maison, la collection Mutins, est dédiée à ce travail suffisamment rare pour être remarqué et découvert sans attendre.