Lapins

Les petits Lapins, dans le bois,
Folâtrent sur l’herbe arrosée
Et, comme nous le vin d’Arbois,
Ils boivent la douce rosée.

Gris foncé, gris clair, soupe au lait,
Ces vagabonds, dont se dégage
Comme une odeur de serpolet,
Tiennent à peu près ce langage:

Nous sommes les petits Lapins,
Gens étrangers à l’écriture
Et chaussés des seuls escarpins
Que nous a donnés la Nature.

Près du chêne pyramidal
Nous menons les épithalames,
Et nous ne suivons pas Stendhal
Sur le terrain des vieilles dames.

N’ayant pas lu Dostoïewski,
Nous conservons des airs peu rogues
Et certes, ce n’est pas nous qui
Nous piquons d’être psychologues.

Exempts de fiel, mais non d’humour
Et fuyant les ennuis moroses,
Tout le temps nous faisons l’amour,
Comme un rosier fleurit ses roses.

Nous sommes les petits Lapins,
C’est le poil qui forme nos bottes,
Et, n’ayant pas de calepins,
Nous ne prenons jamais de notes.

Nous ne cultivons guère Kant;
Son idéale turlutaine
Rarement nous attire. Quant
Au fabuliste La Fontaine,

Il faut qu’on l’adore à genoux;
Mais nous préférons qu’on se taise,
Lorsque méchamment on veut nous
Raconter une pièce à thèse.

Étant des guerriers du vieux jeu,
Prêts à combattre pour Hélène,
Chez nous on fredonne assez peu
Les airs venus de Mitylène.

Préférant les simples chansons
Qui ravissent les violettes,
Sans plus d’affaire, nous laissons
Les raffinements aux belettes.

Ce ne sont pas les gazons verts
Ni les fleurs, dont jamais nous rîmes
Et, qui pis est, au bout des vers
Nous ne dédaignons pas les rimes.

En dépit de Schopenhauer,
Ce cruel malade qui tousse,
Vivre et savourer le doux air
Nous semble une chose fort douce,

Et dans la bonne odeur des pins
Qu’on voit ombrageant ces clairières,
Nous sommes les tendres Lapins
Assis sur leurs petits derrières.

Théodore de Banville

Image : Lapin et carottes  / Jean Emile Laboureur / Gallica

Odelette

Un petit roseau m’a suffi
Pour faire frémir l’herbe haute
Et tout le pré
Et les doux saules
Et le ruisseau qui chante aussi ;
Un petit roseau m’a suffi
À faire chanter la forêt.
Ceux qui passent l’ont entendu
Au fond du soir, en leurs pensées,
Dans le silence et dans le vent,
Clair ou perdu,
Proche ou lointain…
Ceux qui passent en leurs pensées
En écoutant, au fond d’eux-mêmes,
L’entendront encore et l’entendent
Toujours qui chante.
Il m’a suffi
De ce petit roseau cueilli
À la fontaine où vint l’Amour
Mirer, un jour,
Sa face grave
Et qui pleurait,
Pour faire pleurer ceux qui passent
Et trembler l’herbe et frémir l’eau ;
Et j’ai, du souffle d’un roseau,
Fait chanter toute la forêt.

Henri de Régnier

Image : Les roseaux et le vent, estampe de Jacques Callot, Gallica

La neige tombe

Toute blanche dans la nuit brune
La neige tombe en voletant,
Ô pâquerettes ! Une à une
Toutes blanches dans la nuit brune !
Qui donc là-haut plume la lune ?
Ô frais duvet ! Flocons flottants !
Toute blanche dans la nuit brune
La neige tombe en voletant.

La neige tombe, monotone,
Monotonement, par les cieux ;
Dans le silence qui chantonne,
La neige tombe monotone,
Elle file, tisse, ourle et festonne
Un suaire silencieux.
La neige tombe, monotone,
Monotonement par les cieux.

Jean Richepin

Image : Utagawa Hiroshige (歌川広重) [Public domain], via Wikimedia Commons

Animaux en quelques mots

Le papillon
Ce billet doux plié en deux
cherche une adresse de fleur.
 
+++
 
L’escargot
Dans la saison des rhumes,
son cou de girafe rentré,
l’escargot bout,
comme un nez plein.
 
+++
 
Les fourmis
 
Chacune d’elles ressemble au chiffre 3.
Et il y en a ! il y en a ! Il y en a 3333333333333333… jusqu’à l’infini.
 
+++
 
L’araignée
I
Une petite main noire et poilue crispée sur des cheveux.
II
Toute la nuit, au nom de la lune, elle appose ses scellés.
 
+++
Le corbeau
 
« Quoi ? quoi ? quoi ?
– Rien . »
 
+++
Le ver luisant
 
I
Que se passe-t-il ? Neuf heures du soir et il y a encore de la lumière chez lui.
 
II
Cette goutte de lune dans l’herbe !
 
+++
 
La pie
Elle était toute noire ;
mais elle a passé l’hiver aux champs
et il lui reste de la neige
 
Jules Renard
 
Image : Par Triton — Travail personnel, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=9886832

C’est à moi !

Deux sœurs se disputaient une belle poupée : « C’est la mienne !

— Du tout, te dis-je, elle est à moi!

Tu sais bien que la tienne a la tête coupée. »

Et chacune tirait à soi.

Qu’arriva-t-il ? Hélas ! au bout d’une minute,
Cette belle poupée, objet de leur dispute,
Était arrachée en morceaux
Le son coulait à flots de son corps en lambeaux.

Et comme chacune s’entête,
Aux mains de toutes deux un morceau demeurant,
L’une eut les pieds, l’autre la tête,
Et voilà mes enfants pleurant.

A qui la poupée était-elle ?

Je ne sais pas, mais je sais bien
Ce que sur le mien et le tien 
Avait rapporté la querelle.

Au lieu de c’est à moi, dites donc c’est à nous.
Enfants, c’est plus utile, et surtout c’est plus doux.

Louis Ratisbonne « La Comédie enfantine »

 

 

 

 

Image : Léon Comerre [Public domain], via Wikimedia Commons

A aurore

La nature est tout ce qu’on voit,
Tout ce qu’on veut, tout ce qu’on aime,
Tout ce qu’on sait, tout ce qu’on croit,
Tout ce que l’on sent en soi-même.

Elle est belle pour qui la voit,
Elle est bonne à celui qui l’aime,
Elle est juste quand on y croit
Et qu’on la respecte en soi-même.

Regarde le ciel, il te voit,
Embrasse la terre, elle t’aime.
La vérité c’est ce qu’on croit
En la nature c’est toi-même.

George Sand

 

Image : « L’oeil, comme un ballon se dirige vers l’INFINI » / Odilon Redon / Source : Gallica

Impression fausse

Dame souris trotte
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte
Grise dans le noir.

On sonne la cloche,
Dormez les bons prisonniers !
On sonne la cloche :
Faut que vous dormiez.

Pas de mauvais rêve,
Ne pensez qu’à vos amours.
Pas de mauvais rêve :
Les belles toujours !

Le grand clair de lune !
On ronfle ferme à côté.
Le grand clair de lune
En réalité !

Un nuage passe,
Il fait noir comme en un four,
Un nuage passe.
Tiens le petit jour !

Dame souris trotte,
Rose dans les rayons bleus.
Dame souris trotte :
Debout les paresseux !

Paul Verlaine

Image : Noguchi, Shunbi / Source : Gallica

 

Odile

Odile rêve au bord de l’île,
Lorsqu’un crocodile surgit ;
Odile a peur du crocodile.
Et lui évitant un « ci-git »
Le crocodile croque Odile.

 Caï raconte ce roman,
Mais sans doute Caï l’invente
Odile alors serait vivante.
Et, dans ce cas-là, Caï ment.

Un autre ami d’Odile, Alligue,
Pour faire croire à cette mort,
Se démène et intrigue,
D’aucuns disent qu’alligue a tort.

Jean Cocteau

Source de l’image : Gallica

Le papillon

Naître avec le printemps, mourir avec les roses,
Sur l’aile du zéphyr nager dans un ciel pur,
Balancé sur le sein des fleurs à peine écloses,
S’enivrer de parfums, de lumière et d’azur,
Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes,
S’envoler comme un souffle aux voûtes éternelles,
Voilà du papillon le destin enchanté!
Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose,
Et sans se satisfaire, effleurant toute chose,
Retourne enfin au ciel chercher la volupté!

 

Alphonse de Lamartine

 

Image : Gallica