Ode à Aphrodite, à Sapho et à Renée

Sappho est une poétesse grecque de l’Antiquité qui a vécu aux septième siècle et sixième siècles sur l’île grecque de Lesbos. Très célèbre durant l’Antiquité, son oeuvre ne subsiste plus qu’à l’état de fragments, les Papyri d’Oxyrhynque notamment. Et pourtant ces bribes sont aimés par nombre de poètes qui voient en Sapho une poétesse de l’amour éternel. Ainsi Renée Vivien qui a traduit son oeuvre au dix-neuvième siècle et qu’on nommait la Sapho 1900 !

Les voici qui s’adressent toutes deux à Aphrodite :

Toi dont le trône est d’arc-en-ciel,
immortelle Aphrodita,
fille de Zeus, tisseuse de ruses,
je te supplie de ne point dompter mon âme,
ô Vénérable, par les angoisses et les détresses.

Mais viens, si jamais, et plus d’une fois,
entendant ma voix, tu l’as écoutée, et,
quittant la maison de ton père, tu es venue,
ayant attelé ton char d’or.

Et c’était de beaux passereaux rapides
qui te conduisaient.
Autour de la terre sombre
ils battaient des ailes,
descendus du ciel à travers l’éther.

Ils arrivèrent aussitôt, et toi,
ô Bienheureuse, ayant souri de ton visage immortel,
tu me demandas ce qui m’était advenu,
et quelle faveur j’implorais,
et ce que je désirais le plus dans mon âme insensée.


« Quelle Persuasion veux-tu donc attirer vers ton amour ?
Qui te traite injustement, Psappha ?
Car celle qui te fuit promptement
te poursuivra, celle qui refuse tes présents
t’en offrira, celle qui ne t’aime pas
t’aimera promptement et même malgré elle. »

Viens vers moi encore maintenant,
et délivre-moi des cruels soucis,
et tout ce que mon coeur veut accomplir,
accomplis-le, et sois Toi-Même mon alliée.

Source des images : Gallica Sapho, Pho / Jacques-Louis David
Aphrodite : [estampe] / gypsographie Pierre Roche
– Sapho, Pho / Jacques-Louis David

Arachné

A travers ce texte, Françoise Kerisel nous rappelle que, d’Arachné à Louise Bourgeois, l’esprit « Me Too » et le désir de libération des femmes sont depuis bien longtemps au coeur de l’actualité.

Il est au monde deux familles peu réconciliables: d’abord celle qui s’attendrit sur l’araignée, cette Pénélope du monde animal, tissant, solitaire, sa toile fragile sans cesse recommencée.

Ainsi, dit Colette, Sido laissa certain matin une araignée glisser, sur son fil sécrété, jusqu’au chocolat de sa tasse.

Il est une autre espèce humaine que la minuscule créature n’attendrit pas. Elle lui donne de l’effroi car elle oeuvre dans l’ombre avec beaucoup trop de pattes noires… A en croire un  » Dico des rêves  » , l’araignée est une image maléfique, un piège, un porte-malheur, et c’est du chagrin dès le matin.

Rassemblons-nous plutôt à l’écoute du mythe grec.

Il était une fois, en Lydie, une jeune brodeuse qui travaillait si bien qu’on venait de très loin admirer ses toiles. Aussi elle s’autorisa un jour à défier Athéna, la déesse.

La meilleure tisseuse de l’Olympe accepta. Elle allait remettre l’orgueilleuse enfant à sa place. Rendez-vous pris.

Elles s’installent face à face devant leur métier. Ce sont les douze dieux, en majesté, avec tous leurs attributs, qu’Athéna brode avec éclat.

Arachné, elle, a un plan. A l’aiguille, elle veut dénoncer les manœuvres de séduction de Zeus, dont de simples mortelles, comme elle-même, ont été les victimes.

L’attaque de la belle Europe, de Léda, de Danaé, d’Alcmène, de Mnémosyne est révélée au grand jour!

L’insolente beauté de la toile d’Arachné fait suffoquer d’indignation la déesse. Pour la fille-même de Zeus c’en est trop. Ulcérée, elle frappe la petite de sa navette, déchire la toile sacrilège de haut en bas. La voilà bien punie, sur la place publique, la gagnante du pari.

Désespérée, la jeune fille va se pendre. Elle balance encore, quand la déesse la saisit et la soutient en l’air, le temps de la changer en araignée. Ainsi elle conservera sa belle passion de filer, et de faire de la toile un infini.

Depuis les brodeuses de la grande famille humaine ont pris Arachné comme symbole, nous réconciliant tous. Louise Bourgeois s’en souvient, et signe son appartenance à une famille d’habiles tisserands, par ses superbes créations arachnéennes.

Rêvez sans crainte d’araignée, et même, c’est écrit.

« Si l’araignée est rouge: amour passionné.

Si l’araignée est blanche: quête mystique »…

 
 

Image : Titre :  [L’Araignée] : [estampe] / Jean Veber / Source Gallica