Le Tung-whang-fung

La fleur Ing-wha, petite et pourtant des plus belles,
N’ouvre qu’à Ching-tu-fu son calice odorant ;
Et l’oiseau Tung-whang-fung est tout juste assez grand
Pour couvrir cette fleur en tendant ses deux ailes.

Et l’oiseau dit sa peine à la fleur qui sourit,
Et la fleur est de pourpre, et l’oiseau lui ressemble,
Et l’on ne sait pas trop, quand on les voit ensemble,
Si c’est la fleur qui chante, ou l’oiseau qui fleurit.

(…)

Louis Bouilhet

 

Image : Gallica /Shashin kachō zue [Album de fleurs et d’oiseaux d’après nature] / par Kitao Kosuisai

Lapins

Les petits Lapins, dans le bois,
Folâtrent sur l’herbe arrosée
Et, comme nous le vin d’Arbois,
Ils boivent la douce rosée.

Gris foncé, gris clair, soupe au lait,
Ces vagabonds, dont se dégage
Comme une odeur de serpolet,
Tiennent à peu près ce langage:

Nous sommes les petits Lapins,
Gens étrangers à l’écriture
Et chaussés des seuls escarpins
Que nous a donnés la Nature.

Près du chêne pyramidal
Nous menons les épithalames,
Et nous ne suivons pas Stendhal
Sur le terrain des vieilles dames.

N’ayant pas lu Dostoïewski,
Nous conservons des airs peu rogues
Et certes, ce n’est pas nous qui
Nous piquons d’être psychologues.

Exempts de fiel, mais non d’humour
Et fuyant les ennuis moroses,
Tout le temps nous faisons l’amour,
Comme un rosier fleurit ses roses.

Nous sommes les petits Lapins,
C’est le poil qui forme nos bottes,
Et, n’ayant pas de calepins,
Nous ne prenons jamais de notes.

Nous ne cultivons guère Kant;
Son idéale turlutaine
Rarement nous attire. Quant
Au fabuliste La Fontaine,

Il faut qu’on l’adore à genoux;
Mais nous préférons qu’on se taise,
Lorsque méchamment on veut nous
Raconter une pièce à thèse.

Étant des guerriers du vieux jeu,
Prêts à combattre pour Hélène,
Chez nous on fredonne assez peu
Les airs venus de Mitylène.

Préférant les simples chansons
Qui ravissent les violettes,
Sans plus d’affaire, nous laissons
Les raffinements aux belettes.

Ce ne sont pas les gazons verts
Ni les fleurs, dont jamais nous rîmes
Et, qui pis est, au bout des vers
Nous ne dédaignons pas les rimes.

En dépit de Schopenhauer,
Ce cruel malade qui tousse,
Vivre et savourer le doux air
Nous semble une chose fort douce,

Et dans la bonne odeur des pins
Qu’on voit ombrageant ces clairières,
Nous sommes les tendres Lapins
Assis sur leurs petits derrières.

Théodore de Banville

Image : Lapin et carottes  / Jean Emile Laboureur / Gallica

Animaux en quelques mots

Le papillon
Ce billet doux plié en deux
cherche une adresse de fleur.
 
+++
 
L’escargot
Dans la saison des rhumes,
son cou de girafe rentré,
l’escargot bout,
comme un nez plein.
 
+++
 
Les fourmis
 
Chacune d’elles ressemble au chiffre 3.
Et il y en a ! il y en a ! Il y en a 3333333333333333… jusqu’à l’infini.
 
+++
 
L’araignée
I
Une petite main noire et poilue crispée sur des cheveux.
II
Toute la nuit, au nom de la lune, elle appose ses scellés.
 
+++
Le corbeau
 
« Quoi ? quoi ? quoi ?
– Rien . »
 
+++
Le ver luisant
 
I
Que se passe-t-il ? Neuf heures du soir et il y a encore de la lumière chez lui.
 
II
Cette goutte de lune dans l’herbe !
 
+++
 
La pie
Elle était toute noire ;
mais elle a passé l’hiver aux champs
et il lui reste de la neige
 
Jules Renard
 
Image : Par Triton — Travail personnel, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=9886832

Odile

Odile rêve au bord de l’île,
Lorsqu’un crocodile surgit ;
Odile a peur du crocodile.
Et lui évitant un « ci-git »
Le crocodile croque Odile.

 Caï raconte ce roman,
Mais sans doute Caï l’invente
Odile alors serait vivante.
Et, dans ce cas-là, Caï ment.

Un autre ami d’Odile, Alligue,
Pour faire croire à cette mort,
Se démène et intrigue,
D’aucuns disent qu’alligue a tort.

Jean Cocteau

Source de l’image : Gallica

Fourmis

Sur une page vierge de ton carnet,
de petites fourmis écrivent une histoire.

 

Les petites pattes avancent,

Formant des arabesques qui virevoltent
et se poursuivent les unes les autres

Au fil des phrases…

Connaissent-elles déjà la suite de l’histoire ?

Ou l’inventent-elles au fur et à mesure

De leur promenade ?

Jennifer Lavallé

 

Le papillon

Naître avec le printemps, mourir avec les roses,
Sur l’aile du zéphyr nager dans un ciel pur,
Balancé sur le sein des fleurs à peine écloses,
S’enivrer de parfums, de lumière et d’azur,
Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes,
S’envoler comme un souffle aux voûtes éternelles,
Voilà du papillon le destin enchanté!
Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose,
Et sans se satisfaire, effleurant toute chose,
Retourne enfin au ciel chercher la volupté!

 

Alphonse de Lamartine

 

Image : Gallica