Odile

Odile rêve au bord de l’île,
Lorsqu’un crocodile surgit ;
Odile a peur du crocodile.
Et lui évitant un « ci-git »
Le crocodile croque Odile.

 Caï raconte ce roman,
Mais sans doute Caï l’invente
Odile alors serait vivante.
Et, dans ce cas-là, Caï ment.

Un autre ami d’Odile, Alligue,
Pour faire croire à cette mort,
Se démène et intrigue,
D’aucuns disent qu’alligue a tort.

Jean Cocteau

Source de l’image : Gallica

Fourmis

Sur une page vierge de ton carnet,
de petites fourmis écrivent une histoire.

 

Les petites pattes avancent,

Formant des arabesques qui virevoltent
et se poursuivent les unes les autres

Au fil des phrases…

Connaissent-elles déjà la suite de l’histoire ?

Ou l’inventent-elles au fur et à mesure

De leur promenade ?

Jennifer Lavallé

 

Le papillon

Naître avec le printemps, mourir avec les roses,
Sur l’aile du zéphyr nager dans un ciel pur,
Balancé sur le sein des fleurs à peine écloses,
S’enivrer de parfums, de lumière et d’azur,
Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes,
S’envoler comme un souffle aux voûtes éternelles,
Voilà du papillon le destin enchanté!
Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose,
Et sans se satisfaire, effleurant toute chose,
Retourne enfin au ciel chercher la volupté!

 

Alphonse de Lamartine

 

Image : Gallica

La poésie chamboule tout !

Le chamboule-tout est un jeu d’adresse européen datant du Moyen Âge, encore pratiqué lors des foires et des fêtes populaires. Le jeu consiste à viser avec une balle un empilement de boîtes qui doivent tomber du support sur lequel elles reposent. Exercice d’amusement pour les enfants, avec la complicité des grands.

La poésie, n’est-ce pas cela aussi ? Jouer avec les mots, les catapulter par le geste du poète pour les faire retomber à un nouvel endroit du monde…

De grands poètes ont assumé avec force cet aspect ludique et enfantin du geste poétique. Ainsi Victor Hugo a pu écrire « J’ai disloqué ce grand niais d’Alexandrin » ! Et Paul Valéry parlait du poème comme « cette hésitation prolongée entre le son et le sens ». Pour Eluard, par la poésie, « toutes les tours d’ivoire seront démolies ». En détruisant un état initial du langage, le jeu poétique en propose dans le même temps une reconstruction créative, afin de rendre la vie sur terre « plus belle, moins éphémère, moins misérable » (Adonis).

Le poète s’amuse avec les sonorités, avec les syllabes, avec la structure des phrases,
Il cherche et trouve, par ce déplacement des mots, un nouvel état des choses et des sentiments,
et parvient à saisir quelque chose de l’insaisissable, de l’intangible.
Dans un univers où tout sans cesse se recompose et change de place,
il tente de garder trace, vers, rime de ce chambardement auquel il consent de prendre part, joyeusement.

 

Image : « Un coup de tête » – André Hellé / Source : Gallica