Plumage d’adages

Par Philippe Minot

 

A livre d’enfant, souvenirs méchants.

A vive abeille, rude miel.

Comme la vague, la pensée déferle.

Dieu s’épanche, le Diable exulte, le fou éructe, le sage se contient et le monde se maintient.

La chaise préfère l’assise à l’assis.

La faim ne talonne que les affamés.

La parole dit plus que silence mais moins que regard.

La poésie brandit le sceptre d’un spectre.

La terre grandit celui qui plante et inhume celui qui récolte.

La toilette purifie moins la peau que la conscience.

La victoire reste au Diable.

Le bois croît dans l’espoir du bûcher.

Le chat devine le tigre.

Le ciel est miel, le réel est fiel.

Le destin du lièvre n’est pas toujours le civet.

Le facile est un miroir sans tain, le difficile te renvoie ton reflet.

Le facile te détruit, le possible se construit.

Le fleuve bat ses rives, le simple ses cartes.

Le fruit est plus cultivé que l’acheteur ne le suppute.

Le mot est un silence qui refuse de se taire.

Le récit conduit le rêve, le poème mène la danse.

Le soir se garde bien de réveiller la nuit.

Le silence rôde entre la volubilité des âmes et la sécheresse des lèvres.

Le silence parle entre la clarté des coeurs et l’obscurité des gorges.

Le soldat défile, les heures aussi.

Le soleil vrai n’est pas dans le ciel mais dans la rivière.

Le tombeau se garde bien de pleurer.

L’aile est un renoncement et une élévation, nullement un abandon.

L’effort coûte plus que sable qui s’amoncelle.

L’image balaie les scories de ce que nous sommes.

L’ironie, c’est un proverbe qui se refuse comme un cheval qui hennit.

Nous jouissons moins du jour que nous ne souffrons de la nuit.

Odeur légère, amour éphémère.

Plus, à l’arbre, la cigale casse l’oreille ; plus, sous l’arbre, le berger s’ensommeille.

Plus le soleil s’éteint, plus l’angoisse t’étreint.

Pour le remords, maintenant est déjà demain.

Pour le sorcier, sourciller, c’est déjà prier.

Quand le soleil se couchera, on y verra plus clair.

Si le soleil scintille, la tête, elle, s’incline.

Tant va l’estomac qu’à la faim il rechigne.

Tôt bouclé tôt bâclé.

Tout portrait est plus fidèle au fiel qu’au modèle.

Image d’illustration Le Petit Marseillais illustré, 4 janvier 1890

Secret de poète !

La nuit tombe à présent, et dévore le monde à pleines dents…Dans le placard de ma chambre, où
sont empilés soigneusement les draps et les oreillers, vit un petit dragon nommé Doudou. C’est un
bébé, un dragonneau. Il mesure 1 millimètre à peine. Il ne crache pas encore de feu. Il a des yeux
feux d’artifices qui luisent dans le noir. Il ne ferait pas de mal à une mouche.
Je lui rends visite le soir quand tout le monde ronfle. Je lui apporte des bonbons au citron. Je lui
raconte des histoires pour l’endormir.

Les lits-cornes sont dangereux. Alors je l’emmène dans mon lit-barque…

Nous regardons ensemble les berges de la rivière. Les animaux étranges, les loupsours,
les tigres ailés, les lapins-araignées, les vers luisants… ne peuvent rien contre nous !
Doudou ne cesse de les narguer depuis la barque.

J’ai déjà voulu l’emmener à l’école mais il ne veut pas. Il dit qu’il est mon secret et que je dois le garder dans mon armoire, à l’abri des regards !

Et il me chuchote avec son drôle d’accent :
Etre poète, c’est faire
des rois et des reines,
des donjons où enfermer ton chagrin
des lits pour voyager
au-dessus des villes, des paysages, des forêts
d’une épluchure, un personnage
d’un tapis, un voyage
d’un fil, une rêverie
d’une tomate, du sang
d’une flaque, un océan
de sable, des châteaux,
des roses, des enfants
des planètes, des maisons
où se promener
où frissonner
où se perdre
des labyrinthes sans fin
peuplés de jeux et de rencontres inattendues

Jennifer Lavallé

L’enfant et le miroir

Un enfant élevé dans un pauvre village
Revint chez ses parents, et fut surpris d’y voir
Un miroir.
D’abord il aima son image ;
Et puis, par un travers bien digne d’un enfant,
Et même d’un être plus grand,
Il veut outrager ce qu’il aime,
Lui fait une grimace, et le miroir la rend.
Alors son dépit est extrême ;
Il lui montre un poing menaçant,
Il se voit menacé de même.
Notre marmot fâché s’en vient, en frémissant,
Battre cette image insolente ;
Il se fait mal aux mains. Sa colère en augmente ;
Et, furieux, au désespoir,
Le voilà devant ce miroir,
Criant, pleurant, frappant la glace.
Sa mère, qui survient, le console, l’embrasse,
Tarit ses pleurs, et doucement lui dit :
N’as-tu pas commencé par faire la grimace
A ce méchant enfant qui cause ton dépit ?
– Oui. – Regarde à présent : tu souris, il sourit ;
Tu tends vers lui les bras, il te les tend de même ;
Tu n’es plus en colère, il ne se fâche plus :
De la société tu vois ici l’emblème ;
Le bien, le mal, nous sont rendus.

Jean-Pierre Claris de Florian

 

Gallica

Images : Fables de Florian illustrées par Benjamin Rabier / Gallica

La marée

Une vague se leva

Et resta immobile

Quelques instants

Dans le gris de ce ciel d’été

Le jour brilla sur elle

Retenue en l’air

Immobile

Empêchée de retomber

Par un remords soudain ?

Puis elle s’abattit

Et détruisit la première tour

L’enfant, voyant cela,

Tenta de reconstruire

Ce qui était détruit

Mais tandis qu’il peinait

Une nouvelle vague se leva

Et resta dressée en l’air

Quelques instants

Dans le gris de ce jour

L’enfant la regarda

Avec dépit

Pourtant

Elle s’abattit

Et détruisit la deuxième tour

L’enfant perdait la face

La première tour était à moitié reconstruite

Quand se leva une troisième vague

« Non, non… » disait l’enfant

Mais la vague s’abattit

Et détruisit les deux dernières tours.

L’enfant pleurait maintenant

Le château était en ruines

Le jour, presque fini…

On cria son prénom

Il fallait rentrer,

Partir, quitter la plage,

Faire comme si tout cela

N’était pas

Grave…

Jennifer Lavallé

 

Image : Enfants construisant un château de sable sur une plage / Gallica

C’est à moi !

Deux sœurs se disputaient une belle poupée : « C’est la mienne !

— Du tout, te dis-je, elle est à moi!

Tu sais bien que la tienne a la tête coupée. »

Et chacune tirait à soi.

Qu’arriva-t-il ? Hélas ! au bout d’une minute,
Cette belle poupée, objet de leur dispute,
Était arrachée en morceaux
Le son coulait à flots de son corps en lambeaux.

Et comme chacune s’entête,
Aux mains de toutes deux un morceau demeurant,
L’une eut les pieds, l’autre la tête,
Et voilà mes enfants pleurant.

A qui la poupée était-elle ?

Je ne sais pas, mais je sais bien
Ce que sur le mien et le tien 
Avait rapporté la querelle.

Au lieu de c’est à moi, dites donc c’est à nous.
Enfants, c’est plus utile, et surtout c’est plus doux.

Louis Ratisbonne « La Comédie enfantine »

 

 

 

 

Image : Léon Comerre [Public domain], via Wikimedia Commons