Les fables de La Fontaine au 21ème siècle

 

Premier épisode : le lièvre et la tortue

Si le fabuliste Jean de La Fontaine, dont le père était chargé de la surveillance des rivières et des forêts, était encore des nôtres, nous ne doutons pas qu’il prendrait la destruction de l’environnement dont nous sommes témoins en ce 21ème siècle comme sujet de ses réflexions.

La série « Les fables de La Fontaine, la suite » donne une suite contemporaine à certaines de ses fables qu’il avait lui-mêmes empruntées à Esope, en les adaptant aux préoccupations d’aujourd’hui.

Nous vous en souhaitons bonne lecture et invitons nos chers lecteurs et lectrices à nous tenir informé.e.s des réactions des enfants ou à leur faire inventer leurs propres suites de La Fontaine, pour stimuler leur créativité !

La fable est téléchargeable, cliquez ici pour ouvrir le .pdf

Les éditions Sonorité autorisent la diffusion de ces fables dans les cadres non commerciaux, en famille ou à l’école. N’hésitez pas à nous tenir informé.e.s, cela nous fera plaisir.

L’attribution est obligatoire.
Illustrations : Claude Biche
Adaptation : Jennifer Lavallé d’après la fable de La Fontaine

A bientôt pour l’épisode 2 : La cigale et la fourmi, la suite…
Sonorité éditions, février 2020

Un rêve de Socrate

Il a été dit, et répété, que Socrate n’a pas écrit.

Marcheur infatigable dans les rues d’Athènes, il pose ses questions
de philosophe, associant vivement l’autre à sa recherche.
En toute injustice, le voilà condamné à mort, par sa cité même.

Socrate dans sa prison choisit de se retrouver seul, en sa quête
ultime de vérité. Il n’est plus père, ni fils, ni époux. Il est seul pour écouter les dieux, seul
pour accueillir ses rêves, seul avec la nuit et ses messages.

Or pendant son sommeil, plusieurs fois, il est invité à s’intéresser à la
musique.

La musique? Qu’est-elle pour lui, l’homme dont le souci est le vrai,
par la parole vive?

Pour Socrate, d’évidence, c’est dans la poésie que la musique est
présente.

L’enfant qu’il fut se souvient des fables d’Ésope, porteuses
de tant de vérités humaines. Ne sont-ils pas frères en leur destin?
Il rend hommage à l’esclave, en traduisant en vers chantants
la juste prose du fabuliste.

Socrate a entendu la nuit et son message. Il est en paix.

Il va boire la ciguë.

Par Françoise Kerisel

Ce poème réflexif lui a été inspiré par la célèbre préface aux fables de Jean de La Fontaine dans laquelle ce dernier « évoque longuement, avec force, ce rendez-vous de Socrate avec l’écriture poétique, avec la muse, avec la nuit,
avec les rêves à entendre comme porteurs des messages essentiels, à déchiffrer.  »

Image : [Vignette, fumé pour l’illustration de : La Fontaine, Jean de, « Fables », « Testament expliqué par Esope »] : [estampe] ([Fumé]) / G. Doré

La guêpe et l’abeille

Dans le calice d’ une fleur
la guêpe un jour voyant l’ abeille,
s’ approche en l’ appelant sa sœur.
Ce nom sonne mal à l’ oreille
de l’ insecte plein de fierté,
qui lui répond : nous sœurs ! Ma mie,
depuis quand cette parenté ?
Mais c’ est depuis toute la vie,
lui dit la guêpe avec courroux :
considérez-moi, je vous prie :
j’ ai des ailes tout comme vous,
même taille, même corsage ;
et, s’ il vous en faut davantage,
nos dards sont aussi ressemblants.
Il est vrai, répliqua l’ abeille,
nous avons une arme pareille,
mais pour des emplois différents.
La vôtre sert votre insolence,
la mienne repousse l’ offense ;
vous provoquez, je me défends.

 

Fable de Florian

 

Image : Les bourdons : [aquarelle] : [dessin] / Jordic

Le petit Poisson et le Pêcheur

Petit poisson deviendra grand,
Pourvu que Dieu lui prête vie.
Mais le lâcher en attendant,
Je tiens pour moi que c’est folie ;
Car de le rattraper il n’est pas trop certain.
Un Carpeau qui n’était encore que fretin
Fut pris par un Pêcheur au bord d’une rivière.
Tout fait nombre, dit l’homme en voyant son butin ;
Voilà commencement de chère et de festin :
Mettons-le en notre gibecière.
Le pauvre Carpillon lui dit en sa manière :
Que ferez-vous de moi ? je ne saurais fournir
Au plus qu’une demi-bouchée ;
Laissez-moi Carpe devenir :
Je serai par vous repêchée.
Quelque gros Partisan m’achètera bien cher,
Au lieu qu’il vous en faut chercher
Peut-être encor cent de ma taille
Pour faire un plat. Quel plat ? croyez-moi ; rien qui vaille.
– Rien qui vaille ? Eh bien soit, repartit le Pêcheur ;
Poisson, mon bel ami, qui faites le Prêcheur,
Vous irez dans la poêle ; et vous avez beau dire,
Dès ce soir on vous fera frire.

Un tien vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l’auras :
L’un est sûr, l’autre ne l’est pas.

 

Jean de La fontaine

Image : [Carpe] : [estampe] / [Masayoshi Kitao] / source : Gallica

Ésope au pays des philosophes

Grande question.
Ésope a-t-il vraiment existé?
Certains disent que non : encore des bobards vieux de mille et mille ans.
Beaucoup pensent que, oui, Ésope était cet esclave au crâne tondu, qui habitait au pays des philosophes, dans l’île boisée de Samos,
six siècles av. J. C.
À quoi ressemblait-il?
Les uns disent qu’il était aussi petit que laid, d’autres qu’il était bossu,
et tous affirment qu’il bégayait, bégayait.
Alors qu’a-t-il fait pour qu’on en parle toujours?
On  assure qu’Ésope a gagné sa liberté, à force de conter le monde comme il le voyait, en des fables vives et vraies, qui faisaient rire petits et grands.
Aujourd’hui encore, les enfants s’amusent des histoires
qui vont du pot de terre au pot de fer, du chêne au roseau,
ou de la colombe à la fourmi,
comme Socrate en son temps.

                      *

Le voyageur et la vérité selon Ésope

Dans un endroit désert, Dame vérité, toute nue, sortit de son puits.
Un voyageur passait par là. Il reconnut, à sa tristesse, la femme
qui se tenait là.
– Dame de vérité, pourquoi avoir abandonné les hommes et notre cité?
– Autrefois on trouvait le mensonge chez quelques-uns.
Aujourd’hui il est partout, dans les villes et les campagnes,
et en toutes langues : on m’a chassée…
Le voyageur prit sa voix la plus douce.
– Madame, venez sous mon manteau, marchons un peu ensemble, parlons vrai.
   Mais en entendant ces mots, la Dame se laissa glisser à nouveau dans le puits d’Ésope.

 

Poème : Françoise Kérisel
Illustration :  [Jeu des fables d’Ésope] : [jeu de cartes, estampe] / Gallica

L’enfant et le miroir

Un enfant élevé dans un pauvre village
Revint chez ses parents, et fut surpris d’y voir
Un miroir.
D’abord il aima son image ;
Et puis, par un travers bien digne d’un enfant,
Et même d’un être plus grand,
Il veut outrager ce qu’il aime,
Lui fait une grimace, et le miroir la rend.
Alors son dépit est extrême ;
Il lui montre un poing menaçant,
Il se voit menacé de même.
Notre marmot fâché s’en vient, en frémissant,
Battre cette image insolente ;
Il se fait mal aux mains. Sa colère en augmente ;
Et, furieux, au désespoir,
Le voilà devant ce miroir,
Criant, pleurant, frappant la glace.
Sa mère, qui survient, le console, l’embrasse,
Tarit ses pleurs, et doucement lui dit :
N’as-tu pas commencé par faire la grimace
A ce méchant enfant qui cause ton dépit ?
– Oui. – Regarde à présent : tu souris, il sourit ;
Tu tends vers lui les bras, il te les tend de même ;
Tu n’es plus en colère, il ne se fâche plus :
De la société tu vois ici l’emblème ;
Le bien, le mal, nous sont rendus.

Jean-Pierre Claris de Florian

 

Gallica

Images : Fables de Florian illustrées par Benjamin Rabier / Gallica