Odelette

Un petit roseau m’a suffi
Pour faire frémir l’herbe haute
Et tout le pré
Et les doux saules
Et le ruisseau qui chante aussi ;
Un petit roseau m’a suffi
À faire chanter la forêt.
Ceux qui passent l’ont entendu
Au fond du soir, en leurs pensées,
Dans le silence et dans le vent,
Clair ou perdu,
Proche ou lointain…
Ceux qui passent en leurs pensées
En écoutant, au fond d’eux-mêmes,
L’entendront encore et l’entendent
Toujours qui chante.
Il m’a suffi
De ce petit roseau cueilli
À la fontaine où vint l’Amour
Mirer, un jour,
Sa face grave
Et qui pleurait,
Pour faire pleurer ceux qui passent
Et trembler l’herbe et frémir l’eau ;
Et j’ai, du souffle d’un roseau,
Fait chanter toute la forêt.

Henri de Régnier

Image : Les roseaux et le vent, estampe de Jacques Callot, Gallica

La neige tombe

Toute blanche dans la nuit brune
La neige tombe en voletant,
Ô pâquerettes ! Une à une
Toutes blanches dans la nuit brune !
Qui donc là-haut plume la lune ?
Ô frais duvet ! Flocons flottants !
Toute blanche dans la nuit brune
La neige tombe en voletant.

La neige tombe, monotone,
Monotonement, par les cieux ;
Dans le silence qui chantonne,
La neige tombe monotone,
Elle file, tisse, ourle et festonne
Un suaire silencieux.
La neige tombe, monotone,
Monotonement par les cieux.

Jean Richepin

Image : Utagawa Hiroshige (歌川広重) [Public domain], via Wikimedia Commons

Animaux en quelques mots

Le papillon
Ce billet doux plié en deux
cherche une adresse de fleur.
 
+++
 
L’escargot
Dans la saison des rhumes,
son cou de girafe rentré,
l’escargot bout,
comme un nez plein.
 
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Les fourmis
 
Chacune d’elles ressemble au chiffre 3.
Et il y en a ! il y en a ! Il y en a 3333333333333333… jusqu’à l’infini.
 
+++
 
L’araignée
I
Une petite main noire et poilue crispée sur des cheveux.
II
Toute la nuit, au nom de la lune, elle appose ses scellés.
 
+++
Le corbeau
 
« Quoi ? quoi ? quoi ?
– Rien . »
 
+++
Le ver luisant
 
I
Que se passe-t-il ? Neuf heures du soir et il y a encore de la lumière chez lui.
 
II
Cette goutte de lune dans l’herbe !
 
+++
 
La pie
Elle était toute noire ;
mais elle a passé l’hiver aux champs
et il lui reste de la neige
 
Jules Renard
 
Image : Par Triton — Travail personnel, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=9886832

Espièglerie

Un mot que tu viens d’inventer
Glisse sous ta langue joyeuse,
ta langue de petit lutin…

Malin, le mot a roulé par terre
Il s’est enfui le long du tapis
en chuchotant
C’est un mot drôle, un mot espiègle
Il se cache dans un trou du mur

Dans une minute, tu l’auras oublié
Alors écris-le vite avec ton crayon…

Ecris-le vite avant que ne vienne l’oubli…

 

Jennifer Lavallé

 

Image : By Rabier (File:Rabier – Tintin-Lutin, 1898.djvu) [Public domain], via Wikimedia Commons

Ailleurs

La grande aiguille trotte sur le mur
Fée des secondes
Fée du Temps qui jamais ne s’arrête

Tandis que cuit le riz
Tandis que pousse le riz
Dans des ailleurs que tu imagines
Les graines
Les petites fées des champs dansent

 

Jennifer Lavallé

 

Image : Internet Archive Book Images

Carapace

Elle avait une carapace, cette petite fille-là.
Mais pas une carapace de tortue, une autre, toute transparente
et que personne n’avait remarquée.

 

Jennifer Lavallé

Image : Estampe de Berthe Morisot / Source : Gallica

La marée

Une vague se leva

Et resta immobile

Quelques instants

Dans le gris de ce ciel d’été

Le jour brilla sur elle

Retenue en l’air

Immobile

Empêchée de retomber

Par un remords soudain ?

Puis elle s’abattit

Et détruisit la première tour

L’enfant, voyant cela,

Tenta de reconstruire

Ce qui était détruit

Mais tandis qu’il peinait

Une nouvelle vague se leva

Et resta dressée en l’air

Quelques instants

Dans le gris de ce jour

L’enfant la regarda

Avec dépit

Pourtant

Elle s’abattit

Et détruisit la deuxième tour

L’enfant perdait la face

La première tour était à moitié reconstruite

Quand se leva une troisième vague

« Non, non… » disait l’enfant

Mais la vague s’abattit

Et détruisit les deux dernières tours.

L’enfant pleurait maintenant

Le château était en ruines

Le jour, presque fini…

On cria son prénom

Il fallait rentrer,

Partir, quitter la plage,

Faire comme si tout cela

N’était pas

Grave…

Jennifer Lavallé

 

Image : Enfants construisant un château de sable sur une plage / Gallica

C’est à moi !

Deux sœurs se disputaient une belle poupée : « C’est la mienne !

— Du tout, te dis-je, elle est à moi!

Tu sais bien que la tienne a la tête coupée. »

Et chacune tirait à soi.

Qu’arriva-t-il ? Hélas ! au bout d’une minute,
Cette belle poupée, objet de leur dispute,
Était arrachée en morceaux
Le son coulait à flots de son corps en lambeaux.

Et comme chacune s’entête,
Aux mains de toutes deux un morceau demeurant,
L’une eut les pieds, l’autre la tête,
Et voilà mes enfants pleurant.

A qui la poupée était-elle ?

Je ne sais pas, mais je sais bien
Ce que sur le mien et le tien 
Avait rapporté la querelle.

Au lieu de c’est à moi, dites donc c’est à nous.
Enfants, c’est plus utile, et surtout c’est plus doux.

Louis Ratisbonne « La Comédie enfantine »

 

 

 

 

Image : Léon Comerre [Public domain], via Wikimedia Commons

A aurore

La nature est tout ce qu’on voit,
Tout ce qu’on veut, tout ce qu’on aime,
Tout ce qu’on sait, tout ce qu’on croit,
Tout ce que l’on sent en soi-même.

Elle est belle pour qui la voit,
Elle est bonne à celui qui l’aime,
Elle est juste quand on y croit
Et qu’on la respecte en soi-même.

Regarde le ciel, il te voit,
Embrasse la terre, elle t’aime.
La vérité c’est ce qu’on croit
En la nature c’est toi-même.

George Sand

 

Image : « L’oeil, comme un ballon se dirige vers l’INFINI » / Odilon Redon / Source : Gallica