Impression fausse

Dame souris trotte
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte
Grise dans le noir.

On sonne la cloche,
Dormez les bons prisonniers !
On sonne la cloche :
Faut que vous dormiez.

Pas de mauvais rêve,
Ne pensez qu’à vos amours.
Pas de mauvais rêve :
Les belles toujours !

Le grand clair de lune !
On ronfle ferme à côté.
Le grand clair de lune
En réalité !

Un nuage passe,
Il fait noir comme en un four,
Un nuage passe.
Tiens le petit jour !

Dame souris trotte,
Rose dans les rayons bleus.
Dame souris trotte :
Debout les paresseux !

Paul Verlaine

Image : Noguchi, Shunbi / Source : Gallica

 

Magie du rêve

Tu es sorcier
Tu l’as toujours été.

Tu aimes former rafales et tourbillons
Dans le cours ennuyeux du Temps
Tu es ce papillon qui virevolte dans le jardin étoilé
Cet oiseau qui s’envole vers la lune rousse

Tu es le héros, le barde, le magicien
Celui qui parle aux animaux
Aux arbres, aux étoiles mystérieuses
Ce nuage qui se transforme en pluie
Et rejoint la mer en furie

Tu es poète
Tu l’as toujours été

Taper avec des cailloux plats comme des silex
sur l’eau tourbillonnante du ruisseau
Ecrire sur le sable ou dans le vent

Jongler avec les mots et faire vibrer les sens
Sans dessus dessous
Courir, sauter, voler vers les nuages

A cheval sur un balai de ménage

Ta magie est sans limite

 

Jennifer Lavallé / Extrait de « Lits-cornes et grenouilles »

Image : Promenade dans le ciel, J-J. Grandville

Odile

Odile rêve au bord de l’île,
Lorsqu’un crocodile surgit ;
Odile a peur du crocodile.
Et lui évitant un « ci-git »
Le crocodile croque Odile.

 Caï raconte ce roman,
Mais sans doute Caï l’invente
Odile alors serait vivante.
Et, dans ce cas-là, Caï ment.

Un autre ami d’Odile, Alligue,
Pour faire croire à cette mort,
Se démène et intrigue,
D’aucuns disent qu’alligue a tort.

Jean Cocteau

Source de l’image : Gallica

Fourmis

Sur une page vierge de ton carnet,
de petites fourmis écrivent une histoire.

 

Les petites pattes avancent,

Formant des arabesques qui virevoltent
et se poursuivent les unes les autres

Au fil des phrases…

Connaissent-elles déjà la suite de l’histoire ?

Ou l’inventent-elles au fur et à mesure

De leur promenade ?

Jennifer Lavallé

 

Le papillon

Naître avec le printemps, mourir avec les roses,
Sur l’aile du zéphyr nager dans un ciel pur,
Balancé sur le sein des fleurs à peine écloses,
S’enivrer de parfums, de lumière et d’azur,
Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes,
S’envoler comme un souffle aux voûtes éternelles,
Voilà du papillon le destin enchanté!
Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose,
Et sans se satisfaire, effleurant toute chose,
Retourne enfin au ciel chercher la volupté!

 

Alphonse de Lamartine

 

Image : Gallica

La poésie chamboule tout !

Le chamboule-tout est un jeu d’adresse européen datant du Moyen Âge, encore pratiqué lors des foires et des fêtes populaires. Le jeu consiste à viser avec une balle un empilement de boîtes qui doivent tomber du support sur lequel elles reposent. Exercice d’amusement pour les enfants, avec la complicité des grands.

La poésie, n’est-ce pas cela aussi ? Jouer avec les mots, les catapulter par le geste du poète pour les faire retomber à un nouvel endroit du monde…

De grands poètes ont assumé avec force cet aspect ludique et enfantin du geste poétique. Ainsi Victor Hugo a pu écrire « J’ai disloqué ce grand niais d’Alexandrin » ! Et Paul Valéry parlait du poème comme « cette hésitation prolongée entre le son et le sens ». Pour Eluard, par la poésie, « toutes les tours d’ivoire seront démolies ». En détruisant un état initial du langage, le jeu poétique en propose dans le même temps une reconstruction créative, afin de rendre la vie sur terre « plus belle, moins éphémère, moins misérable » (Adonis).

Le poète s’amuse avec les sonorités, avec les syllabes, avec la structure des phrases,
Il cherche et trouve, par ce déplacement des mots, un nouvel état des choses et des sentiments,
et parvient à saisir quelque chose de l’insaisissable, de l’intangible.
Dans un univers où tout sans cesse se recompose et change de place,
il tente de garder trace, vers, rime de ce chambardement auquel il consent de prendre part, joyeusement.

 

Image : « Un coup de tête » – André Hellé / Source : Gallica

 

L’opéra de la lune

Les éditions Gallimard ont eu la bonne idée de rééditer au format poche « L’opéra de la lune » de Jacques Prévert.

Ils sont nombreux les enfants des années cinquante à se rappeler ce livre. Il s’agit d’une reproduction à l’identique de la première édition publiée en 1953 par la Guilde du Livre, ainsi qu’une partition de la « Chanson dans la lune ». Il faut absolument avoir cet ouvrage chez soi ou courir l’emprunter dans une bibliothèque.

Et pourquoi vous dites que je suis dans la lune ? 
Par ici on ne dit pas qu’on est est dans la terre !
Personne n’est jamais dans la terre
sauf les mineurs qui tirent pour les autres les marrons du feu de l’Hiver.

Un petit garçon orphelin s’invente pour s’endormir des fééries lunaires, d’une originalité absolue. Le texte à la fois poétique et narratif, triste et drôle, et les illustrations de Jacqueline Duhême sont un régal absolu.  La rêverie n’en exclut pas un regard de la plus grande clairvoyance sur le monde et la société, à travers les yeux du personnage principal.

Je revois papa et maman.
– Mais comment peux-tu les revoir puisque tu ne les as jamais vus ? 
Tout de suite, je les ai reconnus.

 L’image est aussi importante que le texte dans ce récit qui oppose le gris de la ville contemporaine aux couleurs flamboyantes d’une lune fantasmatique, pays de joie et de danse. Un grand classique, à placer juste à côté du « Petit Prince » de Saint-Exupéry afin que ces deux enfants puissent mutuellement se rencontrer et s’apprivoiser.

Plus d’informations sur le site de l’éditeur