Vénus au ciel

Une averse a lavé le ciel. Il se fait tard.
Le creux de la vallée est couvert de brouillard ;
Mais sur les coteaux clairs luit au loin la feuillée,
Et le firmament mêle à la forêt mouillée
Des palpitations de clarté pâle. Amis,
L’heure est propice : allons, par les bois endormis,
Dans les champs, au-dessus de la prairie humide,
Voir Vénus qui se lève à l’horizon limpide !

Par Émile Blémont

Image : Et de là nous sortimes pour revoir les étoiles. : [estampe] ([Tiré à part]) / G. Doré ; Pisan / Gallica

La guêpe et l’abeille

Dans le calice d’ une fleur
la guêpe un jour voyant l’ abeille,
s’ approche en l’ appelant sa sœur.
Ce nom sonne mal à l’ oreille
de l’ insecte plein de fierté,
qui lui répond : nous sœurs ! Ma mie,
depuis quand cette parenté ?
Mais c’ est depuis toute la vie,
lui dit la guêpe avec courroux :
considérez-moi, je vous prie :
j’ ai des ailes tout comme vous,
même taille, même corsage ;
et, s’ il vous en faut davantage,
nos dards sont aussi ressemblants.
Il est vrai, répliqua l’ abeille,
nous avons une arme pareille,
mais pour des emplois différents.
La vôtre sert votre insolence,
la mienne repousse l’ offense ;
vous provoquez, je me défends.

 

Fable de Florian

 

Image : Les bourdons : [aquarelle] : [dessin] / Jordic

L’ange-enfant

Ils poussent des clameurs et combattent, ils doutent et désespèrent, il n’y a point de fin à leurs querelles.

Que ta vie, mon enfant, apparaisse au milieu d’eux comme la flamme d’une lumière intense et pure et que, ravis, ils se taisent !

Ils sont cruels, avides et pleins d’envie, leurs paroles sont comme des poignards cachés, altérés de sang.

Va vers ces cœurs tourmentés, tiens-toi au milieu d’eux, mon enfant, que ton regard serein s’abaisse sur eux, comme la paix miséricordieuse des soirs descend sur le jour et met fin à ses luttes.

Qu’ils voient ton visage, mon enfant, et qu’ainsi ils comprennent le sens de toutes choses ; qu’ils t’aiment et qu’ainsi ils s’aiment l’un l’autre.

Viens prendre la place qui t’attend dans l’infini des choses, mon enfant. À l’aurore, ouvre ton cœur et élève-le comme une fleur qui s’épanouit ; au coucher du soleil, incline la tête et, dans le silence achève le jour et son adoration.

 

Par Rabîndranâth Tagore dans « La jeune lune »

Traduction par Henriette Mirabaud-Thorens
NRF, 

 

Image : [Représentation de la lune dans son plein] : [estampe] / [gravé par Jean Patigny]

Le petit Poisson et le Pêcheur

Petit poisson deviendra grand,
Pourvu que Dieu lui prête vie.
Mais le lâcher en attendant,
Je tiens pour moi que c’est folie ;
Car de le rattraper il n’est pas trop certain.
Un Carpeau qui n’était encore que fretin
Fut pris par un Pêcheur au bord d’une rivière.
Tout fait nombre, dit l’homme en voyant son butin ;
Voilà commencement de chère et de festin :
Mettons-le en notre gibecière.
Le pauvre Carpillon lui dit en sa manière :
Que ferez-vous de moi ? je ne saurais fournir
Au plus qu’une demi-bouchée ;
Laissez-moi Carpe devenir :
Je serai par vous repêchée.
Quelque gros Partisan m’achètera bien cher,
Au lieu qu’il vous en faut chercher
Peut-être encor cent de ma taille
Pour faire un plat. Quel plat ? croyez-moi ; rien qui vaille.
– Rien qui vaille ? Eh bien soit, repartit le Pêcheur ;
Poisson, mon bel ami, qui faites le Prêcheur,
Vous irez dans la poêle ; et vous avez beau dire,
Dès ce soir on vous fera frire.

Un tien vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l’auras :
L’un est sûr, l’autre ne l’est pas.

 

Jean de La fontaine

Image : [Carpe] : [estampe] / [Masayoshi Kitao] / source : Gallica

Ésope au pays des philosophes

Grande question.
Ésope a-t-il vraiment existé?
Certains disent que non : encore des bobards vieux de mille et mille ans.
Beaucoup pensent que, oui, Ésope était cet esclave au crâne tondu, qui habitait au pays des philosophes, dans l’île boisée de Samos,
six siècles av. J. C.
À quoi ressemblait-il?
Les uns disent qu’il était aussi petit que laid, d’autres qu’il était bossu,
et tous affirment qu’il bégayait, bégayait.
Alors qu’a-t-il fait pour qu’on en parle toujours?
On  assure qu’Ésope a gagné sa liberté, à force de conter le monde comme il le voyait, en des fables vives et vraies, qui faisaient rire petits et grands.
Aujourd’hui encore, les enfants s’amusent des histoires
qui vont du pot de terre au pot de fer, du chêne au roseau,
ou de la colombe à la fourmi,
comme Socrate en son temps.

                      *

Le voyageur et la vérité selon Ésope

Dans un endroit désert, Dame vérité, toute nue, sortit de son puits.
Un voyageur passait par là. Il reconnut, à sa tristesse, la femme
qui se tenait là.
– Dame de vérité, pourquoi avoir abandonné les hommes et notre cité?
– Autrefois on trouvait le mensonge chez quelques-uns.
Aujourd’hui il est partout, dans les villes et les campagnes,
et en toutes langues : on m’a chassée…
Le voyageur prit sa voix la plus douce.
– Madame, venez sous mon manteau, marchons un peu ensemble, parlons vrai.
   Mais en entendant ces mots, la Dame se laissa glisser à nouveau dans le puits d’Ésope.

 

Poème : Françoise Kérisel
Illustration :  [Jeu des fables d’Ésope] : [jeu de cartes, estampe] / Gallica

Aux arbres

Un célèbre poème de Victor Hugo
mis en musique par RymS

Aux arbres

 

Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme!
Au gré des envieux, la foule loue et blâme ;
Vous me connaissez, vous! – vous m’avez vu souvent,
Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.
Vous le savez, la pierre où court un scarabée,
Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée,
Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour.
La contemplation m’emplit le coeur d’amour.
Vous m’avez vu cent fois, dans la vallée obscure,
Avec ces mots que dit l’esprit à la nature,
Questionner tout bas vos rameaux palpitants,
Et du même regard poursuivre en même temps,
Pensif, le front baissé, l’oeil dans l’herbe profonde,
L’étude d’un atome et l’étude du monde.
Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu,
Arbres, vous m’avez vu fuir l’homme et chercher Dieu!
Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,
Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches,
Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,
Vous savez que je suis calme et pur comme vous.
Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s’élance,
Et je suis plein d’oubli comme vous de silence!
La haine sur mon nom répand en vain son fiel ;
Toujours, – je vous atteste, ô bois aimés du ciel! –
J’ai chassé loin de moi toute pensée amère,
Et mon coeur est encor tel que le fit ma mère!

Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,
Je vous aime, et vous, lierre au seuil des autres sourds,
Ravins où l’on entend filtrer les sources vives,
Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives!
Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime!
Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît,
Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,
Forêt! c’est dans votre ombre et dans votre mystère,
C’est sous votre branchage auguste et solitaire,
Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,
Et que je veux dormir quand je m’endormirai.

Savez-vous planter… les poèmes ?

Le papillon de Lamartine métamorphosé en coquelicots ou l’albatros de Baudelaire en myosotis, voici la merveilleuse trouvaille de Virginie Symaniec, éditrice de la maison d’édition Le ver à soie. Poètes classiques et contemporains se côtoient dans cette collection de Poèmes à planter où le mot devient littéralement graine. 

Semer, semer de petites pierres de rêverie, de réflexion ou d’émotion au coeur du lecteur. La poésie, n’est-ce pas cela ? Les livres-poèmes à planter du Ver à soie nous invitent à libérer le poème de la page afin de lui restituer sa fonction première : l’oralité.

Un rituel est en effet proposé par l’éditrice, afin que la mue des mots en fleurs se passe dans les règles de l’art du jardin et du lyrisme.

1/ Apprenez par coeur votre poème
2/ Posez-le sur de la terre ou dans un pot
3/ Recouvrez-le d’une fine couche de terre
4/ Arrosez tous les jours en récitant
5/ Des pousses de mots apparaissent
6/ Vos maux se muent en fleurs.

Et tandis que l’enfant s’est approprié chaque mot du poème, ce dernier revit par deux fois : sur sa bouche et dans la lumière du jardin. L’objet matériel (feuilles de papier mûrier et de papiers de soie ), patiemment assemblé à la main par Virginie, est, dès sa création, voué à la disparition, seule restera en effet dans la bibliothèque la couverture en Rives tradition.  

N’est-ce pas délicieusement poétique ? Le  papier à ensemencer fabriqué à partir de graines de coquelicots, de myosotis, de carottes, de mélisse ou de salades variées s’est mué en herbes, en tiges, en fleurs colorées. Mais le poème lui a pris toute sa valeur sémantique dans le coeur de l’enfant.

Et puis il y a cette question qui nous tenaille quand on tient le livre dans la main : alors, planter le poème, ou pas ? Nous voici aussitôt questionnés dans notre rapport à l'(im)matérialité de l’univers. Oui on peut dire qu’il y a là une expérience philosophique simple. 

La poésie se renouvelle, renaît sans cesse. L’énergie du poème prend vraiment son sens par la marque qu’elle laisse dans la mémoire.

Il n’y a sans doute pas de plus belle leçon de poésie.

Jennifer Lavallé 

 

Coeur, couronne et miroir

 

« Ce calligramme figure un cœur, une couronne et un miroir, et exige de l’œil qu’il lise non seulement de gauche à droite, mais aussi de bas en haut et de haut en bas. Le poète a inscrit son nom au cœur du miroir, magistral couronnement narcissique. »

LEUWERS D., Poètes français du XIXe et XXe siècles, Paris, LGF, 1987

 
Source : Gallica

Le Tung-whang-fung

La fleur Ing-wha, petite et pourtant des plus belles,
N’ouvre qu’à Ching-tu-fu son calice odorant ;
Et l’oiseau Tung-whang-fung est tout juste assez grand
Pour couvrir cette fleur en tendant ses deux ailes.

Et l’oiseau dit sa peine à la fleur qui sourit,
Et la fleur est de pourpre, et l’oiseau lui ressemble,
Et l’on ne sait pas trop, quand on les voit ensemble,
Si c’est la fleur qui chante, ou l’oiseau qui fleurit.

(…)

Louis Bouilhet

 

Image : Gallica /Shashin kachō zue [Album de fleurs et d’oiseaux d’après nature] / par Kitao Kosuisai

L’enfant et le miroir

Un enfant élevé dans un pauvre village
Revint chez ses parents, et fut surpris d’y voir
Un miroir.
D’abord il aima son image ;
Et puis, par un travers bien digne d’un enfant,
Et même d’un être plus grand,
Il veut outrager ce qu’il aime,
Lui fait une grimace, et le miroir la rend.
Alors son dépit est extrême ;
Il lui montre un poing menaçant,
Il se voit menacé de même.
Notre marmot fâché s’en vient, en frémissant,
Battre cette image insolente ;
Il se fait mal aux mains. Sa colère en augmente ;
Et, furieux, au désespoir,
Le voilà devant ce miroir,
Criant, pleurant, frappant la glace.
Sa mère, qui survient, le console, l’embrasse,
Tarit ses pleurs, et doucement lui dit :
N’as-tu pas commencé par faire la grimace
A ce méchant enfant qui cause ton dépit ?
– Oui. – Regarde à présent : tu souris, il sourit ;
Tu tends vers lui les bras, il te les tend de même ;
Tu n’es plus en colère, il ne se fâche plus :
De la société tu vois ici l’emblème ;
Le bien, le mal, nous sont rendus.

Jean-Pierre Claris de Florian

 

Gallica

Images : Fables de Florian illustrées par Benjamin Rabier / Gallica