Le coquelicot et le bleuet

Les seuls barbelés
qui devraient exister,
devraient être ceux des clôtures
dans lesquelles
s’accroche la laine des moutons
.
Les seules tranchées
qui devraient exister,
devraient être celles creusées
par le temps, le vent et l’eau
.
Les seuls cris
qui devraient se propager
à travers champs,
devraient être les cris de joie
des fêtes de village
.
Le coquelicot et le bleuet
nous rappellent chaque année
le sens que nous avons donné
aux barbelés, aux tranchées et aux cris,
ce sens qui devrait être celui
de notre plus grande vigilance.

.
Le coquelicot (pour les pays du Commonwealth) et le bleuet (pour la France) sont les symboles de la mémoire et de la solidarité.
.

 Par Iocasta Huppen

 

Image :[Coquelicots] : [estampe] / J [Prosper Alphonse Isaac] [monogr.] / Gallica

Ésope au pays des philosophes

Grande question.
Ésope a-t-il vraiment existé?
Certains disent que non : encore des bobards vieux de mille et mille ans.
Beaucoup pensent que, oui, Ésope était cet esclave au crâne tondu, qui habitait au pays des philosophes, dans l’île boisée de Samos,
six siècles av. J. C.
À quoi ressemblait-il?
Les uns disent qu’il était aussi petit que laid, d’autres qu’il était bossu,
et tous affirment qu’il bégayait, bégayait.
Alors qu’a-t-il fait pour qu’on en parle toujours?
On  assure qu’Ésope a gagné sa liberté, à force de conter le monde comme il le voyait, en des fables vives et vraies, qui faisaient rire petits et grands.
Aujourd’hui encore, les enfants s’amusent des histoires
qui vont du pot de terre au pot de fer, du chêne au roseau,
ou de la colombe à la fourmi,
comme Socrate en son temps.

                      *

Le voyageur et la vérité selon Ésope

Dans un endroit désert, Dame vérité, toute nue, sortit de son puits.
Un voyageur passait par là. Il reconnut, à sa tristesse, la femme
qui se tenait là.
– Dame de vérité, pourquoi avoir abandonné les hommes et notre cité?
– Autrefois on trouvait le mensonge chez quelques-uns.
Aujourd’hui il est partout, dans les villes et les campagnes,
et en toutes langues : on m’a chassée…
Le voyageur prit sa voix la plus douce.
– Madame, venez sous mon manteau, marchons un peu ensemble, parlons vrai.
   Mais en entendant ces mots, la Dame se laissa glisser à nouveau dans le puits d’Ésope.

 

Poème : Françoise Kérisel
Illustration :  [Jeu des fables d’Ésope] : [jeu de cartes, estampe] / Gallica

L’alphabet enchanté de Balthazar

Balthazar et son ami pépin partent  à la découverte des lettres majuscules. Chemin faisant, ils rencontrent un dragon dodu, un moineau masqué, un poisson à pattes… et nous entraînent dans un monde imaginaire et plein d’humour.

Associer des images poétiques à des lettres en toile de jute que le jeune enfant peut caresser et mémoriser les yeux fermés, c’est la belle idée de cet immanquable ! des éditions Hatier. Conçu pour les enfants de trois à six ans tout en intégrant le matériel sensoriel conçu par Maria Montessori des lettres rugueuses, ce beau livre invite les tout petits à entrer par la grande porte dans l’univers merveilleux de la littérature et de la poésie.  

Dans la plaine, les baladins…

La voix inimitable d’Yves Montand
célèbre en musique « Les Saltimbanques » d’Apollinaire

Dans la plaine les baladins
S’éloignent au long des jardins
Devant l’huis des auberges grises
Par les villages sans églises.

Et les enfants s’en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe.

Ils ont des poids ronds ou carrés
Des tambours, des cerceaux dorés
L’ours et le singe, animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage.

Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913

Aux arbres

Un célèbre poème de Victor Hugo
mis en musique par RymS

Aux arbres

 

Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme!
Au gré des envieux, la foule loue et blâme ;
Vous me connaissez, vous! – vous m’avez vu souvent,
Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.
Vous le savez, la pierre où court un scarabée,
Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée,
Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour.
La contemplation m’emplit le coeur d’amour.
Vous m’avez vu cent fois, dans la vallée obscure,
Avec ces mots que dit l’esprit à la nature,
Questionner tout bas vos rameaux palpitants,
Et du même regard poursuivre en même temps,
Pensif, le front baissé, l’oeil dans l’herbe profonde,
L’étude d’un atome et l’étude du monde.
Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu,
Arbres, vous m’avez vu fuir l’homme et chercher Dieu!
Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,
Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches,
Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,
Vous savez que je suis calme et pur comme vous.
Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s’élance,
Et je suis plein d’oubli comme vous de silence!
La haine sur mon nom répand en vain son fiel ;
Toujours, – je vous atteste, ô bois aimés du ciel! –
J’ai chassé loin de moi toute pensée amère,
Et mon coeur est encor tel que le fit ma mère!

Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,
Je vous aime, et vous, lierre au seuil des autres sourds,
Ravins où l’on entend filtrer les sources vives,
Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives!
Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime!
Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît,
Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,
Forêt! c’est dans votre ombre et dans votre mystère,
C’est sous votre branchage auguste et solitaire,
Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,
Et que je veux dormir quand je m’endormirai.

Savez-vous planter… les poèmes ?

Le papillon de Lamartine métamorphosé en coquelicots ou l’albatros de Baudelaire en myosotis, voici la merveilleuse trouvaille de Virginie Symaniec, éditrice de la maison d’édition Le ver à soie. Poètes classiques et contemporains se côtoient dans cette collection de Poèmes à planter où le mot devient littéralement graine. 

Semer, semer de petites pierres de rêverie, de réflexion ou d’émotion au coeur du lecteur. La poésie, n’est-ce pas cela ? Les livres-poèmes à planter du Ver à soie nous invitent à libérer le poème de la page afin de lui restituer sa fonction première : l’oralité.

Un rituel est en effet proposé par l’éditrice, afin que la mue des mots en fleurs se passe dans les règles de l’art du jardin et du lyrisme.

1/ Apprenez par coeur votre poème
2/ Posez-le sur de la terre ou dans un pot
3/ Recouvrez-le d’une fine couche de terre
4/ Arrosez tous les jours en récitant
5/ Des pousses de mots apparaissent
6/ Vos maux se muent en fleurs.

Et tandis que l’enfant s’est approprié chaque mot du poème, ce dernier revit par deux fois : sur sa bouche et dans la lumière du jardin. L’objet matériel (feuilles de papier mûrier et de papiers de soie ), patiemment assemblé à la main par Virginie, est, dès sa création, voué à la disparition, seule restera en effet dans la bibliothèque la couverture en Rives tradition.  

N’est-ce pas délicieusement poétique ? Le  papier à ensemencer fabriqué à partir de graines de coquelicots, de myosotis, de carottes, de mélisse ou de salades variées s’est mué en herbes, en tiges, en fleurs colorées. Mais le poème lui a pris toute sa valeur sémantique dans le coeur de l’enfant.

Et puis il y a cette question qui nous tenaille quand on tient le livre dans la main : alors, planter le poème, ou pas ? Nous voici aussitôt questionnés dans notre rapport à l'(im)matérialité de l’univers. Oui on peut dire qu’il y a là une expérience philosophique simple. 

La poésie se renouvelle, renaît sans cesse. L’énergie du poème prend vraiment son sens par la marque qu’elle laisse dans la mémoire.

Il n’y a sans doute pas de plus belle leçon de poésie.

Jennifer Lavallé 

 

Coeur, couronne et miroir

 

« Ce calligramme figure un cœur, une couronne et un miroir, et exige de l’œil qu’il lise non seulement de gauche à droite, mais aussi de bas en haut et de haut en bas. Le poète a inscrit son nom au cœur du miroir, magistral couronnement narcissique. »

LEUWERS D., Poètes français du XIXe et XXe siècles, Paris, LGF, 1987

 
Source : Gallica

A quoi ça sert la poésie ?

France TV Education a mis à l’honneur de très jolies ressources vidéos sur la poésie, à destination des jeunes. La première répond à la question de l’utilité de la poésie. De grands auteurs comme Jacques Prévert et Robert Desnos voient leurs poèmes s’animer dans une série intitulée « En sortant de l’école ». Pourquoi s’en priver ? Cliquez sur l’image ci-dessous pour découvrir les vidéos mises en ligne. 

 

 

Poèmes pour grandir ou rajeunir

Une bien belle collection que celle-là… les Poèmes pour grandir (Cheyne Editeur) comptent déjà 37 titres publiés au rythme de un par an depuis 1985, date de sa création par Martine Mellinette

Cheyne éditeur fait partie de ceux qui ont su maintenir l’édition de poésie dans son indépendance et dans une haute qualité. Au marché de la poésie, Philippe Mathy, qui y a publié en 1992 « L’Atelier des saisons » me confiait que les titres une fois épuisés, sont régulièrement réédités. C’est une heureuse nouvelle ! et Cheyne m’a chuchoté à l’oreille, au même marché de la poésie, que désormais, le rythme de publication pourrait passer à deux par an.

Dans la gorge des merles,
Le crépuscule rassemble
Toutes ses forces vives
Pour becqueter d’orange
Le velours de la nuit.
Philippe Mathy

L’exigence poétique d’un éditeur comme Cheyne se double d’un plaisir de l’illustration et de l’album. Dans « Ces gens qui sont des arbres » de David Dumortier, il est question d’arbres et d’humains, des êtres humains pareils à des arbres, à moins que ce ne soient les arbres eux-mêmes qui soient des individus à part entière. Humour et poésie, d’un même bois vert, piquant, moqueur mais jamais dénué de tendresse.

Le saule pleureur. C’est parce que ses branches tombent au sol et semblent se lamenter qu’on l’a nommé ainsi. Si ses branches avaient poussé sur les côtés ou en hauteur, on ne l’aurait pas pour autant appelé “saule rieur”. Non. On lui aurait taillé sa joie. David Dumortier

Cette année, ce sont « Les petits malheurs » de Jean-Claude Dubois qui ont la vedette.

Bien sûr qu’ils font des bêtises
mais c’est pas grave.

On voit bien que les enfants
n’ont souvent que leurs mains
pour demander pardon.

On voit bien
qu’ils nous aiment beaucoup
avant de désobéir.

Jean-Claude Dubois

Eh oui, il n’y a pas que les grands qui méritent les hommages de la poésie,
les petits y ont bien droit aussi !

Jennifer Lavallé

Le Tung-whang-fung

La fleur Ing-wha, petite et pourtant des plus belles,
N’ouvre qu’à Ching-tu-fu son calice odorant ;
Et l’oiseau Tung-whang-fung est tout juste assez grand
Pour couvrir cette fleur en tendant ses deux ailes.

Et l’oiseau dit sa peine à la fleur qui sourit,
Et la fleur est de pourpre, et l’oiseau lui ressemble,
Et l’on ne sait pas trop, quand on les voit ensemble,
Si c’est la fleur qui chante, ou l’oiseau qui fleurit.

(…)

Louis Bouilhet

 

Image : Gallica /Shashin kachō zue [Album de fleurs et d’oiseaux d’après nature] / par Kitao Kosuisai