Secret de poète !

La nuit tombe à présent, et dévore le monde à pleines dents…Dans le placard de ma chambre, où
sont empilés soigneusement les draps et les oreillers, vit un petit dragon nommé Doudou. C’est un
bébé, un dragonneau. Il mesure 1 millimètre à peine. Il ne crache pas encore de feu. Il a des yeux
feux d’artifices qui luisent dans le noir. Il ne ferait pas de mal à une mouche.
Je lui rends visite le soir quand tout le monde ronfle. Je lui apporte des bonbons au citron. Je lui
raconte des histoires pour l’endormir.

Les lits-cornes sont dangereux. Alors je l’emmène dans mon lit-barque…

Nous regardons ensemble les berges de la rivière. Les animaux étranges, les loupsours,
les tigres ailés, les lapins-araignées, les vers luisants… ne peuvent rien contre nous !
Doudou ne cesse de les narguer depuis la barque.

J’ai déjà voulu l’emmener à l’école mais il ne veut pas. Il dit qu’il est mon secret et que je dois le garder dans mon armoire, à l’abri des regards !

Et il me chuchote avec son drôle d’accent :
Etre poète, c’est faire
des rois et des reines,
des donjons où enfermer ton chagrin
des lits pour voyager
au-dessus des villes, des paysages, des forêts
d’une épluchure, un personnage
d’un tapis, un voyage
d’un fil, une rêverie
d’une tomate, du sang
d’une flaque, un océan
de sable, des châteaux,
des roses, des enfants
des planètes, des maisons
où se promener
où frissonner
où se perdre
des labyrinthes sans fin
peuplés de jeux et de rencontres inattendues

Jennifer Lavallé

Le vilain petit Hans

A propos des contes d’Andersen

Par Françoise Kerisel
avec des illustrations de contes d’Andersen par Yan’ Dargent

D’où nous vient l’écriture?
Du fond des temps, du naufrage, de la nuit, de la douleur, de l’enfance.
Ainsi Andersen s’inspire-t-il de l’asile d’Odense, petite cité danoise au bord de l’eau.

 
 L’enfant y retrouvait sa grand-mère, aide-soignante affolée de dynasties et de princesses au petit pois.
Ou de la rivière glacée, qu’affrontait sa mère en lavant le linge de la ville haute.
Ou du pauvre soldat de plomb, son père, qui se perdit vite dans l’épopée napoléonienne, auquel le fils rend un hommage léger.
Ou du trafic d’allumettes au soufre de ses jeunes voisins.
Ou de l’établi du cordonnier, son beau-père, qui lui a beaucoup appris.
Car cette caste de petits artisans accueille, dit la tradition, avec les idées nouvelles,
les autodidactes, les beaux parleurs.
 
 
 
 
Viendront plus tard le savetier au Lys rouge d’Anatole France, ou celui d’Henri Bosco, Raptassou, qui fabriquent des souliers pour que nous marchions dans leurs rêves.
 
D’ailleurs Socrate, déjà, dans le Théétète, s’attarde sur l’art des chaussures.
En plein romantisme, Andersen figure donc l’arrivée en littérature de la misère, de la folie, du démuni, de la plèbe. Il écrit sans cesse des contes superbes, et connaît partout la célébrité. Mais il aime aussi disparaître sous le déguisement fragile et absurde du joujou.
Les signes de son destin ne cesseront de s’inverser.
C’est ainsi
qu’il poussera des ailes de cygne à un vilain petit canard,
Hans
Christian
Andersen

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Le mystère du Jabberwocky

Dans le conte « De l’autre côté du miroir » de Lewis Carroll, Alice découvre un poème resté célèbre depuis lors, un poème mystérieux imprimé à l’envers, le Jabberwocky.

 

YKCOWREBBAJ

sevot yhtils eht dna ,gillirb sawT‘

ebaw eht ni elbmig dna eryg diD

,sevogorob eht erew ysmim llA

.ebargtuo shtar emom eht dnA

 

Alice comprend tout de suite qu’il s’agit d’un livre à lire en face d’un miroir ! Et c’est ainsi que lui est révélé le texte énigmatique et monstrueux.

 

Twas brillig, and the slithy toves
Did gyre and gimble in the wabe;
All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.

“Beware the Jabberwock, my son!
The jaws that bite, the claws that catch!
Beware the Jubjub bird, and shun
The frumious Bandersnatch!”

He took his vorpal sword in hand:
Long time the manxome foe he sought—
So rested he by the Tumtum tree,
And stood awhile in thought.
And as in uffish thought he stood,
The Jabberwock, with eyes of flame,
Came whiffling through the tulgey wood,
And burbled as it came!

One, two! One, two! and through and through
The vorpal blade went snicker-snack!
He left it dead, and with its head
He went galumphing back.

“And hast thou slain the Jabberwock?
Come to my arms, my beamish boy!
O frabjous day! Callooh! Callay!”
He chortled in his joy.
Ce poème est un véritable défi pour les traducteurs et traductrices du monde entier car nombre de mots du poèmes sont des mots inventés ou plutôt déformés, comme nos visages le seraient dans des miroirs de foire.
 
Dans une conférence du 10 juin 1986 intitulée « Quand se figure la langue », Jacques Hassoun a très bien expliqué pourquoi : « Dans le cas du langage ordinaire, il est plus facile de traduire un texte, car à chaque mot ou expression de la langue de départ peut généralement correspondre un mot ou une expression de la langue d’arrivée. Dans un poème de ce type, par contre, beaucoup de “mots” ne véhiculent pas un sens ordinaire, mais sont là uniquement pour servir d’étincelles et allumer des symboles voisins. Mais ce qui est voisin dans une langue peut être lointain dans une autre. Ainsi, dans le cerveau d’un anglophone, le mot chortled (avant-dernière strophe) aura tendance à activer les symboles chuckled et snorted. Le verbe glouffait excite-t-il les symboles correspondants dans le cerveau d’un francophone ?  »
 
La traduction de ce poème est pour cette raison un exercice particulièrement prisé des traducteurs ou de professeurs qui le proposent à leurs étudiants.
 

Illustration du Jabberwock par John Tenniel.

 
 

 

 

 

 

 

Le canari m’a dit…

Une anthologie rassemblant contes et poèmes de toute l’Afrique

Amadou Hampâté Bâ, Tahar Ben Jelloun, Fatou Sow Ndiaye, Nimrod, Jacqueline Daoud, Nadine Fidji, Marie-Léonine Tsibinda sont quelques un.e.s des poètes et poétesses que l’on trouve rassemblés dans ce joli recueil de contes et poèmes d’Afrique édités par le Temps des Cerises, au sein d’une nouvelle collection « Contes et poèmes du monde entier ».

L’anthologie, superbement illustrée par Sandra Poirot Cherif est structurée en seize grands chapitres thématiques : Terre, Fleuve, Maison, Feu, Rue, Forêt, Ciel., Brousse.. Chaque chapitre est ouvert par un conte traditionnel sur le thème, suivi d’un choix de poèmes. L’anthologie a été établie par Réjane Niogret et Christian Poslianec.

Mon conte s’en va. Les poèmes sont là.

« La forêt bouge, la forêt palpite
La forêt se dresse, la forêt dense
Danse au vent.
La forêt des Pygmées, la forêt des mythes. »
Philippe Makita (République du Congo)

La mise en page et la structuration thématique parviennent à éviter l’écueil d’un certain caractère systématique que l’on peut trouver à nombre d’anthologies. C’est un véritable tour de l’Afrique et de sa poésie qui nous sont proposés, avec de belles découvertes au côté d’auteurs contemporains déjà reconnus. Une place importante est donnée aux voix féminines. 

« Je m’appelle Mariama, Marie, Myriem, Marème, Mouskeba,
Maamou à votre aise !
Le O de mon nom Ndoye ouvre son gros orteil sur le monde »
Mariama Ndoye (Sénégal)

Le parti est pris d’offrir une poésie de grande qualité « pour petits et grands ». L’on peut mettre ce livre dans les mains d’enfants à partir de huit ans, mais il saura également combler les adultes férus de poésie. Un credo que nous partageons au sein de la revue Chamboule-Tout. 

« Papa, tu me diras
Pourquoi des enfants ici sont sans-logis et moi dans un palais »
Augustin-Sondé Coulibaly – Burkina Faso

Plus d’informations sur le site de l’éditeur

 

 

L’opéra de la lune

Les éditions Gallimard ont eu la bonne idée de rééditer au format poche « L’opéra de la lune » de Jacques Prévert.

Ils sont nombreux les enfants des années cinquante à se rappeler ce livre. Il s’agit d’une reproduction à l’identique de la première édition publiée en 1953 par la Guilde du Livre, ainsi qu’une partition de la « Chanson dans la lune ». Il faut absolument avoir cet ouvrage chez soi ou courir l’emprunter dans une bibliothèque.

Et pourquoi vous dites que je suis dans la lune ? 
Par ici on ne dit pas qu’on est est dans la terre !
Personne n’est jamais dans la terre
sauf les mineurs qui tirent pour les autres les marrons du feu de l’Hiver.

Un petit garçon orphelin s’invente pour s’endormir des fééries lunaires, d’une originalité absolue. Le texte à la fois poétique et narratif, triste et drôle, et les illustrations de Jacqueline Duhême sont un régal absolu.  La rêverie n’en exclut pas un regard de la plus grande clairvoyance sur le monde et la société, à travers les yeux du personnage principal.

Je revois papa et maman.
– Mais comment peux-tu les revoir puisque tu ne les as jamais vus ? 
Tout de suite, je les ai reconnus.

 L’image est aussi importante que le texte dans ce récit qui oppose le gris de la ville contemporaine aux couleurs flamboyantes d’une lune fantasmatique, pays de joie et de danse. Un grand classique, à placer juste à côté du « Petit Prince » de Saint-Exupéry afin que ces deux enfants puissent mutuellement se rencontrer et s’apprivoiser.

Plus d’informations sur le site de l’éditeur