Le parfum d’Aristée

C’est Place des fêtes, au stand des miels de Paris, que j’apprends ce qu’est, dans la langue des apiculteurs, le parfum d’Aristée : un tampon odorant à la propolis, miellé, à passer sur les parois d’une ruche désertée, pour attirer l’essaim.

On nous rappelle ici-même, devant la pyramide des bocaux, l’histoire du fils d’Apollon.

Quand vient au monde Aristée les nymphes, ses tantes, lui attribuent en cadeau de naissance le soin des abeilles, et un don nouveau : celui de leur créer des abris, de leur donner un toit. Ce seront les premières ruches à miel.

Dieux et hommes admirent ces petites maisons dont Aristée est l’architecte.

Il gagne l’amitié des abeilles aux miels colorés, et se sent de cette famille.

Un beau matin, la jeune Eurydice va sur leur chemin, seule.

Tel le bourdon, voilà qu’Aristée la poursuit à travers champ.

Elle court, et tombe à terre, piquée à mort par un serpent caché dans l’herbe haute.

L’Olympe châtie le coupable, en le privant de toutes ses abeilles.

Après un long périple de repentance, il va retrouver ses ruches.

Depuis, avec ses messagères, Aristée veille sur la paix entre ciel et terre.

Ruches écoulant
leur miel sur nos toits –
nul chant d’oiseau ne vieillit

La campagne, livrée sans merci aux coupables dictats de l’industrie agro-alimentaire, n’offre plus que des moquettes jaunes de colza, des tapis de luzerne, de tournesols qui s’étendent sans fin. Ni hommes ni bêtes dans les champs. Alors les abeilles se sont réfugiées à Paris, ou dans tant d’autres cités au monde.

Pour leur sauvegarde et la nôtre, d’autres combats sont à mener, en Europe et ailleurs. Aidons nos abeilles de toujours.

Parfum d’Aristée
ses bonbons au miel –
bleue la planète fragile

Françoise Kerisel

 

Image :abeilles : [ La tête et le thorax sont en or, les ailes sont incrustées de grenats. Au revers, une attache ] Source : Gallica

Poèmes à crier dans la rue : l’espoir d’un autre monde

Edités en 2007 par Rue du Monde, voici rassemblés « 60 poèmes qui chantent notre rêve commun de liberté et de fraternité » !

Un recueil très contemporain où se croisent des plumes du monde entier pour rêver un autre monde, crier sa révolte et sa colère, rassemblées par Jean-Marie Henry et Laurent Corvaisier dans cet album joliment illustré !

Ainsi que le clame le poète Remco Campert,
La révolution ne commence pas avec de grands mots,
mais avec de petites choses…

Ainsi que l’écrit (le crie) Jean-Marie Kajdanski,
Ils n’empêcheront pas les cerfs-volants
De tenir tête aux vents dominants

Et de chanter avec Richard Moore Rive
Frère, nous pouvons l’apprendre,
toi et moi, le Blanc, le Noir.
Il n’est pas de mélodie
qui soit noire ou qui soit blanche.

Et de déclamer la tête haute ces vers de Marcel Béalu
La liberté je lui connais un nom plus court
Ma liberté s’appelle Amour
Elle a la forme d’un visage
Elle a le visage du bonheur

Alors, parce que la poésie est là aussi pour dénoncer l’intolérable,
terminons en écoutant la grande voix de Talisma Nasreen :

Les filles de la confection regagnent leurs taudis à minuit.
Les vagabonds des rues tentent de leur soutirer quelques takas,(…)

Les filles de la confection sont enchaînées à la corde impitoyable des riches,
Elles marchent tel le bétail aveugle qui fait tourner la machine à huile des riches,
Les riches prennent l’huile, elles n’ont droit qu’aux déchets. (…)
Les filles de la confection marchent ensemble
Comme des centaines de Bangladesh volant dans le ciel du monde.

 

Editions : Rue du Monde
ISBN : 978-2-915569-88-9

 

Quatre haïkus d’Adonis Brunet

L’ombre du corbeau
En passant sur la prairie
Effraie la souris

Le vieil hérisson
Cherche fortune à la nuit
Dans le poulailler

La mésange bleue
Sous le toit de la maison
Protège son nid

Sur le nénuphar
La grenouille endormie
Sieste méritée

Adonis Brunet

 

Images : [Vignette, fumé pour l’illustration de : La Fontaine, Jean de, « Fables », « Le Renard, les mouches et le hérisson »] : [estampe] ([Fumé]) / G. Doré ; L. Fournier / Source : Gallica

[Grenouilles, iris et nénuphars] : [estampe] / Ch. Houdard / Source : Gallica

Arachné

A travers ce texte, Françoise Kerisel nous rappelle que, d’Arachné à Louise Bourgeois, l’esprit « Me Too » et le désir de libération des femmes sont depuis bien longtemps au coeur de l’actualité.

Il est au monde deux familles peu réconciliables: d’abord celle qui s’attendrit sur l’araignée, cette Pénélope du monde animal, tissant, solitaire, sa toile fragile sans cesse recommencée.

Ainsi, dit Colette, Sido laissa certain matin une araignée glisser, sur son fil sécrété, jusqu’au chocolat de sa tasse.

Il est une autre espèce humaine que la minuscule créature n’attendrit pas. Elle lui donne de l’effroi car elle oeuvre dans l’ombre avec beaucoup trop de pattes noires… A en croire un  » Dico des rêves  » , l’araignée est une image maléfique, un piège, un porte-malheur, et c’est du chagrin dès le matin.

Rassemblons-nous plutôt à l’écoute du mythe grec.

Il était une fois, en Lydie, une jeune brodeuse qui travaillait si bien qu’on venait de très loin admirer ses toiles. Aussi elle s’autorisa un jour à défier Athéna, la déesse.

La meilleure tisseuse de l’Olympe accepta. Elle allait remettre l’orgueilleuse enfant à sa place. Rendez-vous pris.

Elles s’installent face à face devant leur métier. Ce sont les douze dieux, en majesté, avec tous leurs attributs, qu’Athéna brode avec éclat.

Arachné, elle, a un plan. A l’aiguille, elle veut dénoncer les manœuvres de séduction de Zeus, dont de simples mortelles, comme elle-même, ont été les victimes.

L’attaque de la belle Europe, de Léda, de Danaé, d’Alcmène, de Mnémosyne est révélée au grand jour!

L’insolente beauté de la toile d’Arachné fait suffoquer d’indignation la déesse. Pour la fille-même de Zeus c’en est trop. Ulcérée, elle frappe la petite de sa navette, déchire la toile sacrilège de haut en bas. La voilà bien punie, sur la place publique, la gagnante du pari.

Désespérée, la jeune fille va se pendre. Elle balance encore, quand la déesse la saisit et la soutient en l’air, le temps de la changer en araignée. Ainsi elle conservera sa belle passion de filer, et de faire de la toile un infini.

Depuis les brodeuses de la grande famille humaine ont pris Arachné comme symbole, nous réconciliant tous. Louise Bourgeois s’en souvient, et signe son appartenance à une famille d’habiles tisserands, par ses superbes créations arachnéennes.

Rêvez sans crainte d’araignée, et même, c’est écrit.

« Si l’araignée est rouge: amour passionné.

Si l’araignée est blanche: quête mystique »…

 
 

Image : Titre :  [L’Araignée] : [estampe] / Jean Veber / Source Gallica

Poèmeraie

Un, deux, trois poèmes exquis de Françoise Urban-Menninger

Ces poèmes sont extraits du recueil « Poèmeraie »

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avez-vous déjà pris le thé
sur la nappe fleurie de l’été
toutes les fleurs invitées
ont ouvert leur corolle sur le pré
et attendent ainsi apprêtées
qu’on leur serve le thé

le ciel verse alors la rosée
dans les minuscules tasses à thé
faites de pétales étoilés
il y ajoute un nuage de lait
puis les fleurs très bien élevées
s’abreuvent le petit doigt levé

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les jonquilles sous la pluie
tendent le cou
sur leur tige qui plie
et boivent à petits coups
le ciel tout entier versé
dans leur tasse à thé
posée là exprès
comme un soleil sur le pré

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la petite pomme
a mis sa robe d’automne
et coiffé son chapeau jaune
si elle roule de travers
ce n’est point pour faire un vers
mais tout simplement pour éviter le ver
qui la voudrait tout à lui
sous le soleil qui luit
entre trois gouttes de pluie

Françoise Urban-Menninger

Image : gravure extraite de la revue horticole, 1907

Autour des jardins

En cliquant sur l’image ci-dessous, vous découvrirez un magnifique recensement de textes poétiques sur les jardins, où l’on se perd avec délectation !
 
  
Exemple avec le poème SURPRISE, d’Anna de Noailles
 
Je méditais; soudain le jardin se révèle
Et frappe d’un seul jet mon ardente prunelle.
Je le regarde avec un plaisir éclaté;
Rire, fraîcheur, candeur, idylle de l’été!
Tout m’émeut, tout me plaît, une extase me noie,
J’avance et je m’arrête; il semble que la joie
Etait sur cet arbuste et saute dans mon coeur!
Je suis pleine d’élan, d’amour, de bonne odeur,
Et l’azur à mon corps mêle si bien sa trame
Qu’il semble brusquement, à mon regard surpris,
Que ce n’est pas ce pré, mais mon oeil qui fleurit
Et que, si je voulais, sous ma paupière close
Je pourrais voir encor le soleil et la rose.
 
« Les Eblouissements »
Anna de Noailles
 
 
Un tableau de Claude Biche
Les tableaux d’illustration sont de  l’artiste Claude Biche, pour un projet d’album jeunesse que prépare Sonorité, l’association éditrice de la revue en ligne Chamboule-Tout, et qui verra le jour en 2018

Cioran : sagesse et… folie

Parce qu’ils ne trouvaient pas le sommeil, deux amis, Paul Celan et Emil Cioran, marchaient dans Paris, après minuit. Ils se sentaient plus proches d’être victimes du même mal : ne pas connaître l’apaisement de dormir.

 

« L’insomnie est une lucidité vertigineuse… Tout est préférable à cet éveil permanent, à cette absence criminelle de l’oubli. » notait Cioran dans ses Cahiers.
Ils marchaient, tourmentés, faisant plusieurs fois le tour du Luxembourg, dans les années 60 pour un peu de calme.
 « – Je suis comme ce fou qui à toutes les questions que lui posaient les psychiatres répondait :
– Je veux avoir la paix. »
Cioran s’était essayé aux sagesses de jadis et naguère, se savait « incapable d’être un véritable Bouddha, un complet sceptique, ou un nihiliste sans retour » tel Pyrrhon épris d’ataraxie : ce philosophe grec cherchait à n’être que le moyeu autour duquel tourne la roue, après avoir voyagé en Inde, au temps d’Alexandre le Grand.
Cioran voulut alors faire écrire sur sa porte « Fou dangereux », pour défendre sa solitude.
 Donc les deux amis marchaient, marchaient, égayés un instant par l’humour de Cioran.
– « Tous les êtres sont malheureux, mais combien le savent ? »
Paul Celan, dans son exigence, avait traduit en allemand le traité de son ami, « Précis de décomposition »,  à la première personne.
D’abord, « le fait que j’existe prouve que le monde n’a pas de sens. »
Ensuite, « il n’est pas de consolation ici-bas, car tout nous blesse, et rien ne nous fait mourir. »
 Ils souriaient souvent, par ironie
– « Heureusement que Job n’explique pas trop ses cris. »
Seule joie immense pour eux sur cette terre, « la lumière de l’aube, la vraie lumière, la lumière primordiale. »
Ils l’attendaient, comme on attend la délivrance, en marchant, en écrivant.
– Alors, dit Cioran, « je bénis mes mauvaises nuits qui m’offrent l’occasion d’assister au spectacle du Commencement. »
Par Françoise Kerisel  Cf. Cahiers, de Cioran. Éditions Gallimard / 999 pages
Image Palatium Luxemburgi ex parte Viridarii : [estampe] 

Le sapin de Noël

La famille où le sapin se retrouva la veille de Noël
l’avait décoré de jolies boules et de guirlandes lumineuses
mais n’avait pas accroché d’étoile tout en haut,
l’étoile s’était perdue avec les années
et les parents s’en apercevaient toujours trop tard

Le sapin fraîchement paré
trouva les flammes des bougies sur la table
douces et tranquilles
et eut envie de leur demander
de l’aider à scintiller encore plus

Il se souvenait comme dans un rêve
qu’avant, des bougies décoraient
les branches des sapins
et les Noëls étaient inoubliables

Mais il savait aussi
qu’avec les flammes
il ne suffit pas d’être gentil
il fallait surtout leur accorder beaucoup d’attention

Il décida de ne plus penser aux bougies
Le sapin fraîchement paré
aperçut par la fenêtre de toit
une étoile qui brillait plus que les autres
et eut envie de lui demander
de l’aider à scintiller de la même façon

Mais il savait aussi
que c’était bien inutile
d’espérer une étoile du ciel
car elle avait sa vie d’étoile

Il décida de ne plus penser aux étoiles
Et voilà que juste avant que le Père Noël n’arrive
la petite fille s’approcha du sapin
avec une étoile en papier brillant
et demanda à son papa
de l’accrocher tout en haut,
à la seconde où le papa l’accrocha
elle étincela autant qu’une vraie

Entre nous, c’est le grand frère qui dirigea vers l’étoile
le faisceau de lumière de sa lampe torche
mais c’est un secret, ne le dites pas à la petite fille

Tu es le plus beau des sapins,
dit la fillette,
Père Noël pouvait arriver
le sapin étincelait de mille lumières

et surtout, avait une vraie étoile.

Par Iocasta Huppen

Image :  19/12/25, sapins de Noël, quai aux fleurs : [photographie de presse] / [Agence Rol]

Le vilain petit Hans

A propos des contes d’Andersen

Par Françoise Kerisel
avec des illustrations de contes d’Andersen par Yan’ Dargent

D’où nous vient l’écriture?
Du fond des temps, du naufrage, de la nuit, de la douleur, de l’enfance.
Ainsi Andersen s’inspire-t-il de l’asile d’Odense, petite cité danoise au bord de l’eau.

 
 L’enfant y retrouvait sa grand-mère, aide-soignante affolée de dynasties et de princesses au petit pois.
Ou de la rivière glacée, qu’affrontait sa mère en lavant le linge de la ville haute.
Ou du pauvre soldat de plomb, son père, qui se perdit vite dans l’épopée napoléonienne, auquel le fils rend un hommage léger.
Ou du trafic d’allumettes au soufre de ses jeunes voisins.
Ou de l’établi du cordonnier, son beau-père, qui lui a beaucoup appris.
Car cette caste de petits artisans accueille, dit la tradition, avec les idées nouvelles,
les autodidactes, les beaux parleurs.
 
 
 
 
Viendront plus tard le savetier au Lys rouge d’Anatole France, ou celui d’Henri Bosco, Raptassou, qui fabriquent des souliers pour que nous marchions dans leurs rêves.
 
D’ailleurs Socrate, déjà, dans le Théétète, s’attarde sur l’art des chaussures.
En plein romantisme, Andersen figure donc l’arrivée en littérature de la misère, de la folie, du démuni, de la plèbe. Il écrit sans cesse des contes superbes, et connaît partout la célébrité. Mais il aime aussi disparaître sous le déguisement fragile et absurde du joujou.
Les signes de son destin ne cesseront de s’inverser.
C’est ainsi
qu’il poussera des ailes de cygne à un vilain petit canard,
Hans
Christian
Andersen

`

 

L’araignée, la montre et les violonistes

L’araignée
Un corps
Un cœur
Huit pattes
Huit yeux
Sa toile
Et la peur autour d’elle

+++

Ma montre
M’aiguille
Me montre
Me démontre
Que je suis
Encore
En retard

+++

J’aime les violonistes
Qui tapent du pied
Tapent du pied

J’aime les violonistes
Qui aiment jouer
Aiment jouer

J’aime le violoniste
Qui s’accorde
Sa corde

J’aime le musicien
Qui vit au long
Vit au long

J’aime le musicien
Qui joue sous la pluie
Joue sous la pluie

J’aime celui qui joue
Quand il pleut des cordes
Pleut des cordes

Tape du pied
Musicien

Tape du pied
Va et vient

Tape du pied
Vit au loin

Par Jo Galetas

Image :[Les Gobbi]. [12], [Le joueur de violon] : [estampe] / [Jacques Callot] / GALLICA